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C’est en assimilant indûment au principe, quel qu’il soit, de l’harmonie générale de la nature, le principe de l’unité harmonique de l’organisme et des fonctions dans l’être vivant, c’est-à-dire le principe même de la vie, que, dès la plus haute antiquité, les philosophes ont comparé le monde, dans son immensité, à un être vivant (mšga zèon), tandis que les médecins et les physiologistes se sont plu à appeler l’homme un petit monde (micrÒcosmoj), dénomination qu’ils auraient aussi bien pu appliquer à tout animal autre que l’homme. Mais une telle assimilation ne va à rien moins qu’à méconnaître la distinction profonde entre le mécanisme et l’organisme, entre la nature inanimée et la nature vivante. Le monde n’est pas un animal gigantesque, mais une grande machine dont chaque élément obéit à sa loi propre et à la force dont il est individuellement doué, de telle sorte que la raison de leur concours harmonique doit être cherchée ailleurs que dans l’essence même de ces forces et dans leur vertu productrice ; et de même l’animal n’est pas seulement un petit monde, c’est-à-dire une petite machine incluse dans une grande, mais un être qui porte en lui son principe d’unité et d’activité harmonique, n’attendant pour se déployer que des stimulants extérieurs et une disposition favorable des milieux ambiants. Néanmoins il faut bien reconnaître que le lien d’unité et de solidarité organique se montre, suivant les cas, plus ou moins resserré ou détendu. À cet égard, la plante n’est pas comparable à l’animal, ni l’animal des classes inférieures à l’animal que la nature a doué d’une organisation plus compliquée et plus parfaite. Chez les animaux même les plus parfaits, il y a des organes ou des systèmes d’organes dont la sympathie est plus vive, et d’autres qui remplissent avec plus d’indépendance individuelle leur rôle dans l’ensemble de l’organisme. Chez les animaux composés et chez les monstres doubles, des organismes se pénètrent de manière à dérouter les idées que les cas ordinaires et normaux nous suggèrent sur