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des fonctions dans l’être vivant ne doit point se confondre avec l’harmonie générale de la nature. Quoique nous admirions, dans l’économie des phénomènes cosmiques, un ordre et un plan qui nous portent à y reconnaître l’œuvre d’une intelligence ordonnatrice, la science proprement dite, qui n’a point à sonder le mystère des causes premières, n’est nullement obligée d’attribuer aux forces de la nature, qui agissent comme causes secondes, pour la production de ces phénomènes généraux, aucun lien de solidarité entre elles, pas plus qu’il n’y en a entre les forces naturelles que l’homme met en jeu dans une machine ou une usine, bien qu’il ait par son intelligence ajusté les pièces et combiné les forces de manière à les faire concourir à un certain but. La force inhérente à chaque partie du système n’en suit pas moins sa loi, comme si les autres parties du système n’existaient pas ; et nous concevons, par exemple, que les planètes continueraient de graviter vers le Soleil et de tourner régulièrement autour de cet astre, quand il cesserait d’être pour elles un foyer de lumière et de chaleur, absolument comme elles le font dans l’ordre actuel des choses, où la régularité de leurs mouvements paraît si bien adaptée au mode d’influence des rayons solaires. De même, quoiqu’il y ait une harmonie manifeste entre l’organisation de l’animal herbivore et celle des végétaux destinés à lui servir de pâture, il ne peut venir en pensée que les forces qui concourent activement à la germination et au développement de la plante, influent, d’une manière pareillement active, et en tant que causes plastiques ou efficientes, sur l’organisation de l’animal, ou réciproquement. Mais, quand nous considérons l’animal en lui-même, comme être individuel et distinct, il nous est impossible au contraire de ne pas reconnaître un lien de solidarité entre les forces plastiques qui déterminent ici la formation du cœur, et là celle du poumon ou du cerveau ; entre les actions vitales qui élaborent les tissus, les humeurs, et celles qui doivent ultérieurement irriter les tissus, employer dans l’économie animale les humeurs sécrétées ; entre les actes qui préparent l’accomplissement d’une fonction et ceux par lesquels la fonction s’accomplit. Il s’agit alors, non plus d’un concert imputable à une coordination providentielle ou à une combinaison fortuite, mais d’une influence immédiate, active, déterminante, portant sur les causes secondes, et exercée