Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/207

Cette page n’a pas encore été corrigée

que la solution de l’énigme de la génération puisse sortir des formules du géomètre ou du chimiste. À l’apparition des êtres organisés et vivants commence un ordre de phénomènes qui s’accommodent aux grandes lois de l’univers matériel, qui en supposent le concours incessant, mais dont évidemment la conception et l’explication scientifique exigent l’admission expresse ou tacite de forces ou de principes ajoutés à ceux qui suffisent à l’explication de phénomènes plus généraux et plus permanents.

126

Si l’on entre dans plus de détails, la même progression s’observe encore. Tous les êtres organisés, végétaux ou animaux, ont certaines qualités communes, certaines fonctions analogues : de manière qu’il semble que l’animal ne diffère du végétal, comme l’indiquait Linné dans son style aphoristique, que par l’insertion d’une vie sur une autre, idée qu’Aristote avait professée, et à laquelle Bichat a donné un développement lumineux, par le contraste qu’il a si bien établi entre la vie organique, commune aux végétaux et aux animaux, toujours agissante, jamais suspendue, commençant et finissant la dernière, toujours obscure et sans conscience d’elle-même, et la vie animale, essentiellement irrégulière ou périodique, apparaissant plus tard et finissant plus tôt, se perfectionnant graduellement avec le système d’organes qui y est affecté dans les diverses espèces de la série animale ; en un mot (conformément à la loi que nous signalons) imprimant aux phénomènes qui en relèvent plus d’élévation et moins de fixité qu’il n’y en a dans les phénomènes de la vie organique qui lui sert de fondement. Ce n’est pas ici le lieu d’examiner les objections de détail que rencontre la théorie de Bichat ; le fond de ses idées est entré dans la science, est devenu la base de l’enseignement ; et les objections prouvent seulement la difficulté ou l’impossibilité de soumettre à la rigueur de nos distinctions catégoriques les phases par lesquelles passent les phénomènes de la nature dans leur mouvement d’évolution progressive. Il est clair d’ailleurs que, quand bien même on serait parvenu à expliquer par la physique et la chimie tous les phénomènes de l’organisation végétale, et tout ce qui peut-être assimilé dans les animaux à la vie organique du végétal, on n’aurait pas l’explication d’un phénomène de la vie animale, d’une sensation, d’un plaisir, d’un appétit. Dans le passage d’un ordre de phénomènes