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scientifiques accommodées à l’explication des faits de chaque catégorie ; d’autre part, nous comprenons que, dans le passage d’une catégorie à l’autre, il peut se présenter des solutions de continuité qui ne tiennent pas seulement à une imperfection actuelle de nos connaissances et de nos méthodes, mais bien à l’intervention nécessaire de nouveaux principes pour le besoin des explications subséquentes, et à l’impossibilité radicale de suivre le fil des déductions d’une catégorie à l’autre, sans le secours de ces nouveaux principes ou postulats, et en quelque sorte sans un changement de clé ou de rubrique. Il n’y aurait rien de plus utile, pour la saine critique de l’entendement humain, qu’une table exacte de ces clés ou de ces rubriques diverses. À commencer par Aristote, les logiciens ont plusieurs fois essayé de dresser l’inventaire des idées fondamentales ou des catégories sous lesquelles toutes nos idées peuvent se ranger ; mais le goût d’une symétrie artificielle ou d’une abstraction trop formaliste ne leur a permis jusqu’ici, ni de tomber d’accord sur la rédaction du catalogue, ni d’en tirer parti pour le progrès de nos sciences et de nos méthodes, pour la connaissance de l’organisation de l’esprit humain ou de ses rapports avec la nature extérieure. Maintenant, au contraire, que les sciences ont pris tant de développements inconnus aux anciens, c’est le cas de déterminer a posteriori et par l’observation même, quelles sont les idées ou les conceptions primitives et irréductibles auxquelles nous recourons constamment pour l’intelligence et l’explication des phénomènes naturels, et qui dès lors doivent nous être imposées, ou par la nature même des choses, ou par des conditions inhérentes à notre constitution intellectuelle. Il importe encore moins de bien distinguer les catégories vraiment distinctes, que de se faire une juste idée de leur subordination hiérarchique. Or, déjà par ce qui précède, il semble que la marche de la nature consiste à passer de phénomènes plus généraux, plus simples, plus fondamentaux, plus permanents, à des phénomènes plus particuliers, plus complexes et plus mobiles. Dans l’étude scientifique des lois de la nature se présentent, en première ligne, les propriétés générales de la matière, les lois fondamentales de la mécanique, celles de la gravitation universelle. De ces lois et de quelques autres qui,