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immédiatement la fausseté, parce que j’ai des motifs d’être sûr de l’immobilité du rivage. Au contraire, mes sens ne me trompent pas lorsqu’ils me portent à croire au mouvement du passager qui se promène près de moi sur le pont : ce mouvement a bien toute la réalité extérieure que je suis porté à lui attribuer, sur le témoignage de mes sens qui, en cela, n’altèrent ni ne compliquent la chose dont ils ont pour fonction de me donner la perception et la connaissance ; mais cette réalité extérieure n’est que phénoménale ou relative ; car peut-être le passager se meut-il en sens contraire du navire et avec une vitesse égale, de manière à rester fixe par rapport au rivage auquel j’attribue avec raison l’immobilité. En tout cas, le mouvement du navire se combine avec le mouvement propre du passager pour déterminer le mouvement réel de celui-ci par rapport au rivage ou à la surface terrestre. Mais, en admettant l’hypothèse que le passager reste immobile relativement à la surface terrestre (et par conséquent absolument immobile, s’il était permis d’admettre avec les anciens l’immobilité absolue de cette surface), nous comprenons très-bien que l’état de repos où il se trouve a sa raison dans la coexistence de deux mouvements contraires, qui se neutralisent, tout en existant réellement chacun à part, d’une réalité que nous appelons phénoménale et relative, pour la distinguer d’une réalité absolue que l’esprit conçoit, lors même que l’observation n’y atteint pas.

La courbe enchevêtrée qu’une planète vue de la terre semble décrire sur la sphère céleste où l’on prend les étoiles pour points de repère, est une apparence où la vérité objective se trouve faussée par des conditions subjectives inhérentes à la station de l’observateur. Au contraire, l’orbite elliptique qu’un satellite décrit autour de sa planète (abstraction faite des perturbations), et dont l’astronome assigne les éléments, n’est pas une pure apparence. La description de cette orbite par le satellite est un phénomène ou, si on l’aime mieux, un fait doué d’une réalité phénoménale, relative au système de la planète principale et de ses satellites ; quoique, plus réellement et relativement au système solaire, dont celui de la planète et de ses satellites n’est qu’une dépendance, la trajectoire du satellite soit une courbe plus composée, résultant d’une combinaison du mouvement elliptique du satellite