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images présentes à ma pensée, et je conserve l’idée de sa bonté. On s’exprimera convenablement en disant de l’homme faible qui fuit le péril, qu’il est frappé de l’image de la mort ; et du chrétien fervent, que l’idée de la mort est l’objet de ses méditations habituelles.

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Quant à nous qui avons besoin de nous faire un langage plus précis, nous le pourrons sans difficulté, à la faveur de la distinction établie plus haut, et de l’analyse qui a préparé et motivé cette distinction bien nette. Ainsi, toutes les idées sur les formes et les dimensions des corps seront les mêmes pour un aveugle-né que pour un clairvoyant, quoique le premier imagine certainement les corps d’une autre manière que le second, indépendamment de tous les accidents de lumière, d’ombre et de couleur, dont l’habitude ne nous permet pas de les dépouiller tout à fait en nous les représentant, même lorsque notre attention se concentre sur des qualités ou des propriétés indépendantes de tout accident de lumière. L’aveugle-né et le clairvoyant, en pensant à une démonstration de géométrie, construiront idéalement la même figure, en auront la même idée, mais non pas la même image ; et parce que tous deux pensent à l’aide de cerveaux organisés à peu près de même, ils auront tous les deux besoin d’images, mais non de la même image, pour penser la même idée. L’idée que le clairvoyant aura des corps sera plus complète que celle qu’en pourrait acquérir l’aveugle-né livré à lui-même, parce que le premier aura l’idée de la propriété inhérente à ces corps de renvoyer des rayons lumineux, distingués des autres rayons par certains caractères intrinsèques, comme seraient celui de posséder tel indice de réfraction, celui d’exercer telle action chimique ; mais la sensation de couleur, en entrant dans la formation de l’image que le clairvoyant se fait des corps, n’entrera pas dans la formation de l’idée, bien qu’elle ait suggéré un des éléments de l’idée. Le sourd-muet, suffisamment instruit, aura des phénomènes de l’acoustique la même idée que nous ; un homme que son organisation rendrait insensible aux impressions de chaleur et de froid pourrait, comme on l’a expliqué, avoir toutes les idées que nous avons du principe de la chaleur et de ses effets ; mais l’image qu’il s’en ferait, l’image des phénomènes de l’acoustique pour le sourd-muet, n’impliqueraient que des