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parvient peu à peu à démêler dans les changements de perspective ce qui est dû au déplacement des objets perçus sur lesquels sa volonté n’a aucune prise, d’avec ce qui provient du déplacement volontaire de l’organe de perception ; de sorte que, s’il n’arrivait pas à une conception nette de l’espace dans ses trois dimensions, il se ferait au moins l’idée d’une étendue à deux dimensions ou d’une sorte de surface arrondie sur laquelle il projetterait toutes les images, sans tenir compte de la distance où elles peuvent être de lui : idée assez semblable à celle qu’un enfant ou qu’un peuple enfant peuvent se faire de la voûte du ciel. Mais nous ne voulons pas insister davantage sur une discussion si inévitablement entachée de vague et d’arbitraire.

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Il vaut mieux poursuivre notre analyse et aborder enfin l’étude du sens du tact, qui n’est pas, comme les quatre autres, un sens spécial, et qui ne réside point dans un organe distinct, mais que l’on doit regarder comme l’appareil général de la sensibilité, comme l’animal lui-même entrant en communication avec le monde extérieur par tous les points de son enveloppe sensible. Ici la sensibilité propre de la fibre nerveuse n’est pas exaltée pour la perception des impressions les plus délicates ; elle est plutôt émoussée, affaiblie par des organes protecteurs. De là des variétés innombrables dans les impressions tactiles, selon les variétés de configuration, de structure et de fonctions des organes de l’animal et des téguments qui les protègent. On a distingué avec raison le toucher passif, ou la nue sensation du contact, d’avec le toucher actif ou le tact proprement dit. Le sens du tact fait encore par là contraste avec les autres sens. Ce n’est pas qu’il y ait des sensations absolument passives : l’action et la réaction sont inséparables, dans l’ordre des phénomènes physiologiques comme dans tout autre, et le nerf optique ou le nerf olfactif ne peuvent être affectés par la lumière ou par les particules odorantes, sans qu’il y ait une réaction de la fibre nerveuse, qui sert à faire comprendre, quoique bien imparfaitement encore, le phénomène