entre la chose perçue et la constitution de l’organe de perception devient manifeste quand il s’agit de la perception d’une étendue colorée, non pas en tant que colorée, mais en tant qu’étendue. La rétine est un tableau sentant : ce mot dispense de tout commentaire. C’est le cas d’appliquer au sens de la vue les remarques que nous appliquions tout à l’heure au sens de l’ouïe. Nous n’apercevons rien qui puisse lier la sensation de tel timbre de son à tel mode d’excursion vibratoire des particules du corps résonnant, pas plus que nous n’apercevons ce qui lierait les sensations de jaune et de vert à l’action de tels rayons du spectre, ou telle saveur à l’action chimique des molécules de telle substance. Aussi de pareilles sensations sont-elles affectives, et non point représentatives. Mais, dans le mode même d’ébranlement des fibres du nerf auditif, nous trouvions une raison, tirée de la correspondance et du synchronisme des vibrations, pour que l’oreille eût la représentation immédiate et par suite la perception directe des rapports numériques ou des intervalles des tons ; et, dans le mode même d’épanouissement du tissu nerveux dans la rétine, nous trouvons une raison bien plus immédiate encore, bien plus apparente, pour que l’œil perçoive les relations géométriques, les rapports de situation et de grandeur entre les objets d’où émanent les rayons lumineux ; sauf, bien entendu, les altérations de perspective dont le redressement est l’objet d’une éducation ultérieure du sens de la vue, sur laquelle les psychologues ont assez disserté, et dont nous ne nous occupons pas en ce moment. La vertu représentative résulte, dans un cas comme dans l’autre, de ce que le phénomène de sensation est la traduction ou l’image du phénomène extérieur, non quant au fond ou à l’étoffe, mais quant à la forme, sur laquelle seule porte la représentation. Si nous avons pu concevoir le retranchement successif des sens du goût, de l’odorat et de l’ouïe, et même l’abolition de la distinction des couleurs, sans que le système de nos connaissances en fût essentiellement modifié, sans que le germe d’aucune de nos théories scientifiques fût par cela même, et de toute nécessité, condamné à la destruction ou à l’avortement, il est manifeste que le retranchement du sens de la vision, en rendant l’acquisition d’une foule de connaissances absolument impossible, arrêterait de fait presque tout développement
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