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le physicien se trouve privé, non plus seulement d’un réactif délicat, servant à la manière des odeurs et des saveurs, mais d’un instrument de mesure, qui acquiert souvent une merveilleuse précision chez les personnes dont l’oreille, par l’effet des dispositions naturelles ou de l’habitude acquise, perçoit avec une grande justesse les intervalles musicaux ; et nous accordons volontiers qu’il serait difficile à un sourd-muet, non pas de professer l’acoustique (comme l’aveugle Saunderson professait l’optique), mais d’y briller par le talent de l’expérimentation comme un Chladni ou un Savart. Sans doute aussi, quoiqu’une formule mathématique contienne virtuellement tous les détails d’un phénomène, il y a telle conséquence qui échapperait, si l’expérience sensible n’attirait notre attention, et même tel fait qu’on a bien de la peine à lire dans la formule, après que le résultat de l’expérience nous a forcés d’y réfléchir longuement. Mais, encore une fois, il s’agit ici des conditions essentielles de la connaissance ; et à ce point de vue, tout ce qui se trouve virtuellement compris dans l’énoncé d’une loi, tout ce qui peut en être tiré par les seules forces du raisonnement, est censé nous être donné par la connaissance de la loi même. Il ne s’agit pas du résultat auquel peut atteindre tel ou tel homme, selon la mesure de ses forces individuelles : il s’agit du résultat auquel la raison humaine peut parvenir, et doit parvenir, si aucun obstacle accidentel ne vient arrêter son progrès indéfini. La sensation d’un son isolé n’est pas plus propre qu’une sensation de saveur ou d’odeur à nous donner l’idée de la cause qui la produit, quoique nous ayons tout lieu de croire que la modification physique de la fibre nerveuse, à laquelle se rattache la sensation du son, consiste dans un mouvement vibratoire, de sorte qu’elle conserve une grande analogie avec le phénomène extérieur qui la détermine. En effet, les vibrations de la fibre nerveuse, comme celles du corps sonore, se succèdent si rapidement, que nous ne pouvons avoir aucune conscience de leur distinction ni de leur succession. Mais, lorsque l’oreille est simultanément frappée de deux ou de plusieurs sons qui ont entre eux un intervalle musical défini (dont l’un est, par exemple, l’octave ou la quinte de l’autre), un rapport simple s’établit entre les divers mouvements vibratoires dont la fibre nerveuse est le siège comme entre les