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nier ; mais qu’il y ait dans la raison de quoi combattre et surmonter cette tendance, de quoi élever l’homme au-dessus des pures fonctions de relation, comme les physiologistes les appellent avec justesse, c’est ce dont l’histoire des sciences fournit des preuves multipliées. Quoi de plus conforme à ce penchant instinctif que de supposer la terre immobile et d’en faire le centre des mouvements des corps célestes ? Et cependant, par une suite d’analogies, d’inductions, de preuves, qui s’adressent à la raison et non aux sens, l’homme s’est vu contraint de sacrifier ce préjugé. Il l’a fait en dépit de bien d’autres obstacles qui venaient contrarier le jugement de sa raison. La raison et la science ont conduit les naturalistes à des conséquences tout autres. La gradation qu’ils établissent dans la série des espèces animales qui peuplent notre globe, laisse l’homme à la tête de la série, et abaisse d’autant plus les autres espèces qu’elles s’éloignent davantage de la nôtre par l’ensemble de leurs caractères, ou par les caractères que l’ensemble des observations nous oblige de regarder comme les caractères fondamentaux et dominants ; et cependant il est fort clair, pour tous les zoologistes, que cette gradation ne doit pas être mise sur le compte d’un préjugé de position ; qu’un tel ordre n’est pas artificiel, parce qu’il ne présente aucune des incohérences que présenterait inévitablement un ordre artificiel, établi d’après la position accidentelle de l’homme dans la série des êtres. C’est ce que le progrès et les résultats concordants de la zoologie, de l’anatomie comparée, de l’embryogénie, de la paléontologie, ont mis depuis longtemps hors de doute, et ce qui reçoit, chaque jour, des nouvelles découvertes, une nouvelle confirmation. La découverte de l’ordre des affinités naturelles, qui nous donne ainsi, par des inductions rationnelles, la certitude de la prééminence de notre espèce, a été pour nous le résultat d’investigations scientifiques, de travaux méthodiques et persévérants. Au début, et poussé par les seuls instincts de sa nature sensible, l’homme range en effet les êtres de la création terrestre dans un ordre artificiel, selon les services qu’ils lui rendent, le parti qu’il en tire, ou du moins (s’il veut bien faire abstraction de ce qui le touche personnellement) d’après leur taille, leurs formes extérieures, la durée de leur croissance, le milieu qu’ils habitent ; en un mot,