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Surtout il fallait distinguer cette subordination de nos facultés, qui seule peut conduire à un contrôle et à une solution des contradictions apparentes. À défaut de cette distinction, il n’y aura plus, à proprement parler, de discussion philosophique ; on multipliera indéfiniment les faits prétendus primitifs ou irréductibles ; on en appellera sans cesse au sens commun : ce qui équivaudra à la multiplication indéfinie, en physique, des qualités occultes, et ce qui est un procédé exclusif de toute organisation théorique.

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C’est un préjugé commun chez les personnes éclairées que l’homme, ne pouvant juger qu’à l’aide de ses facultés, ne saurait critiquer ses facultés ; mais, si l’homme a des facultés diverses, si elles sont hiérarchiquement ordonnées, et non simplement associées, ce qu’il y a de spécieux dans la formule de ce jugement a priori disparaît aussitôt. Or, les explications données jusqu’ici, celles que nous continuerons de donner par la suite, mettent ou mettront en évidence, à ce que nous espérons, le fait de cette coordination hiérarchique. Les sens ne sont que des instruments pour la raison : et de même que l’homme parvient à s’assurer, au moyen des sens, des causes d’erreur inhérentes aux instruments que son industrie a créés, de même il peut, sous de certaines conditions, s’assurer des causes d’erreur qui résideraient dans les instruments naturels dont sa raison dispose. Supposons, pour prendre un nouvel exemple, qu’il s’agisse de mesurer une certaine grandeur, et que cette grandeur doive être estimée à vue, sans le secours d’aucun instrument, afin de ne pas compliquer des erreurs provenant de l’instrument celles qui proviendraient des imperfections du sens. Nous sommes bien certains, avant toute expérience, qu’une pareille estime sera entachée d’erreur, car la précision mathématique ne saurait (sans un hasard infiniment peu probable) se trouver dans ce qui dépend des sens et du commerce de l’homme avec le monde matériel ; mais ce qu’il faut tâcher de découvrir expérimentalement, c’est la présence ou l’absence d’une cause constante d’erreur qui, en se combinant avec d’autres causes dont l’action varie fortuitement et irrégulièrement d’une mesure à l’autre, tendrait à rendre toutes les mesures trop fortes ou toutes les mesures trop faibles, de manière à entacher d’une erreur sensible le résultat moyen, après que les effets des