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lui suggèrent instinctivement les perceptions ou intuitions fondamentales dont il a besoin pour se conduire dans l’exercice de ses fonctions animales, et dont les animaux mêmes paraissent avoir au moins une conscience obscure. Il est tout simple aussi que, pour l’accomplissement des actes qui s’élèvent au-dessus de l’animalité, mais qui tiennent à l’accomplissement de la destinée de l’espèce, l’homme ait des croyances naturelles, qu’on pourra appeler spontanées : non qu’elles fassent soudainement apparition dans l’esprit, mais parce qu’elles précèdent de beaucoup tout contrôle philosophique ou rationnel. Il est vrai de dire en ce sens avec Pascal que la nature confond les pyrrhoniens ; mais le second membre de l’antithèse, la raison confond les dogmatistes, ne peut être admis comme l’admettait cet austère génie. Le raisonnement et non la raison confond les dogmatistes, en tant qu’il les réduit à l’impuissance de démontrer formellement les thèses du dogmatisme ; mais la raison proprement dite, le sens de la raison des choses, parvient, suivant les cas, à légitimer certaines croyances naturelles et instinctives, et à en rejeter d’autres parmi les préjugés ou les illusions des sens. Ce départ du vrai et du faux, dans des croyances ou des penchants intellectuels que nous tenons de la nature, cette critique des instruments à l’aide desquels nous entrons dans la connaissance des choses, ne pourraient sans contradiction, comme les sceptiques de tous les temps l’ont fait voir, résulter de démonstrations formelles du genre de celles des géomètres ; ce départ ou cette critique ne résultent jamais que de jugements fondés sur des probabilités ; mais ces probabilités peuvent, dans certains cas, acquérir une telle force, qu’elles entraînent irrésistiblement l’assentiment de la raison, tandis qu’elles ne projettent qu’une lueur indécise sur d’autres parties du champ de la spéculation.

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Le système de critique philosophique que l’on indique ici n’est pas autre chose que le système de critique suivi dans les sciences et dans la pratique de la vie. Il faut se contenter