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et du jeu de nos fonctions psychologiques, nous en savons assez pour démêler que les perturbations de la sensibilité, dans le sommeil ou dans d’autres circonstances de la vie animale, résultent de la suspension ou de l’oblitération de certaines facultés, de l’affaiblissement ou de la lésion de certains organes. Exceptio firmat regulam. Quelquefois les sens nous exposent à des illusions qu’on pourrait appeler normales, parce qu’elles sont universellement partagées, et que, loin de résulter d’un trouble accidentel dans l’économie des fonctions, elles sont le résultat constant de cette économie même. Telles sont les illusions d’optique par suite desquelles le ciel prend l’apparence d’une voûte aplatie, et la lune nous semble beaucoup plus grande à l’horizon que près du zénith. On a proposé plusieurs explications de ces illusions et de beaucoup d’autres ; mais, lors même qu’elles resteraient inexpliquées, le concours des autres sens et l’intervention de la raison ne tarderaient pas à rectifier les erreurs de jugement qui peuvent les accompagner d’abord. Dans la contradiction apparente d’une faculté et d’une autre, notre esprit n’éprouve aucun embarras à se décider : il reconnaît la prééminence d’une faculté sur l’autre, et il n’hésite pas à concevoir les phénomènes de la manière qui se prête seule à une coordination systématique et régulière, de la manière qui satisfait seule aux lois suprêmes de la raison.

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De même que la nature a organisé l’œil pour percevoir les angles optiques sans les altérer, les configurations optiques sans les déformer, et cela dans un but évident d’appropriation aux besoins des êtres qu’elle douait du sens de la vue, ainsi a-t-elle façonné l’entendement, non pour coordonner les impressions venues des choses extérieures, suivant un type à lui, étranger à la réalité objective, mais pour pénétrer dans cette réalité, toutefois selon la mesure exigée pour l’accomplissement de la destinée de l’homme. Or, bien que l’homme, en philosophant, cultive des facultés dont il tient le germe de la nature, il est clair que la nature n’a point fait l’homme pour philosopher : ce sera, si l’on veut, la destinée de quelques individus, mais ce n’est assurément pas la destination de l’espèce. Il est donc tout simple que les actes par lesquels l’homme se rapproche le plus des animaux