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dans un pareil miroir qu’Herschell sondait les profondeurs du ciel étoilé, et il y a des mondes au sein desquels l’œil de l’homme n’a pénétré que de cette manière. Mais Herschell connaissait parfaitement la structure de son télescope qu’il avait inventé lui-même ; tandis qu’on peut imaginer un miroir en face duquel il aurait plu à la nature de nous placer, sans nous avertir de sa présence, et sans nous instruire directement de la forme qu’elle aurait jugé à propos de lui donner. Cependant, si le miroir était courbe, la déformation des images produirait le même effet que produisait tout à l’heure l’interposition du prisme ou du verre lenticulaire. En troublant toutes les apparences, en mettant obstacle à l’enchaînement des phénomènes suivant un ordre simple et régulier, elle nous ferait soupçonner l’existence d’une cause de désordre qui affecte, non pas les objets de nos perceptions, mais les instruments ou les organes de nos perceptions, et par suite nos perceptions mêmes et toutes les notions qui s’y rattachent ; au lieu que, si le miroir était plan, l’ordre dans lequel tous les phénomènes s’enchaîneraient nous autoriserait assez à conclure que nous sommes placés dans des conditions favorables pour voir les objets extérieurs tels qu’ils sont, soit que nous en ayons l’intuition directe, soit qu’ils ne se montrent à nous que par l’intermédiaire de certaines images, peut-être affaiblies, mais pourtant fidèles, en ce sens qu’elles retiennent bien les formes principales et les traits caractéristiques du type originel. Néanmoins, même dans le cas du miroir plan, il y aurait une différence de forme bien essentielle entre les objets et leurs images : différence pareille à celle qui existe entre la main droite et la main gauche, ou à celle que l’anatomie découvre entre l’organisation intérieure de la plupart des hommes, pour lesquels la déviation des viscères a lieu dans un sens, et celle de quelques sujets qui, par anomalie, offrent la même déviation en sens inverse. La même inversion affecterait à la fois les mouvements des corps célestes, l’action des courants électriques sur les aimants, l’action des cristaux sur la lumière, l’enroulement des spires de la coquille et de la plante, et une multitude d’autres traits, généraux ou particuliers, de la structure du monde que nous connaissons. Mais, par cela même qu’elle affecterait à la fois l’ensemble et tous les détails, elle ne troublerait en rien ni la régularité de l’ensemble,