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des jugements, des perceptions et des dires de nos semblables. C’est effectivement ainsi que cette critique se fait tous les jours, dans la méditation solitaire, dans la discussion orale et dans les livres. Parfois, cette critique passe comme inaperçue, tant les conclusions qu’elle doit amener sont saisissantes et incontestables. Dans une foule de cas elle nous mène à des probabilités dont on ne saurait fixer la valeur par des nombres, ni par aucun signe précis, qui frappent inégalement les esprits, et n’engendrent que des controverses sans issue.

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Maintenant, faut-il nécessairement s’arrêter là, et n’est-ce pas encore ainsi que peut et que doit se faire la critique de nos facultés, de nos idées, de nos jugements, quand on les considère, non plus dans les individus, mais dans l’espèce ; quand il s’agit de règles et de notions générales, et non plus seulement d’objets ou de faits particuliers ? Les motifs de décider sont les mêmes. Nos sens, et en général toutes les facultés par lesquelles nos connaissances s’élaborent et se perfectionnent, sont guidées, contrôlées dans leur exercice par cette faculté supérieure et régulatrice, à laquelle nous réservons par excellence le nom de raison (17), et qui saisit l’ordre et la raison des choses, en remontant des phénomènes aux lois, des conséquences aux principes, des apparences à la réalité. C’est encore elle qui doit nous apprendre si les notions et les idées qui résultent pour nous de l’exercice de toutes nos autres facultés, après qu’on a mis à l’écart toutes les causes fortuites d’illusion, après le redressement de toutes les anomalies accidentelles et individuelles, ne sont vraies que d’une vérité humaine, accommodée à la constitution de notre espèce, à la condition et aux lois de notre propre nature ; ou si, au contraire, ces facultés ont été données à l’homme pour atteindre, dans une certaine mesure, à la connaissance effective de ce que les choses sont intrinsèquement, et indépendamment du commerce que nous entretenons avec elles. Un homme pourrait être assujetti à ne voir qu’à travers un verre prismatique ou lenticulaire, qui changerait tous les