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et d’une harmonie dans les œuvres de la nature, bien supérieures à ce que notre faible intelligence en a pu déjà découvrir. Si ce pressentiment n’est pas infaillible, parce que le point où nous sommes placés pour juger des œuvres de la nature ne nous laisse voir qu’un horizon restreint, et parce que la plus grande perfection dans les détails n’est pas toujours compatible avec la simplicité du plan et la généralité des lois, il arrive bien plus ordinairement, principalement lorsque l’observation porte sur les créations de la nature vivante, que l’observateur, en cédant à ce pressentiment, et en dirigeant son investigation en conséquence, se trouve par cela même sur la voie des découvertes. Il en est de ce pressentiment indéfinissable, et dont il faut tenir grand compte, quoiqu’il n’ait pas la sûreté d’une règle logique, comme de celui qui met le géomètre sur la trace d’un théorème, le physicien sur la trace d’une loi physique, selon qu’il leur paraît que la loi ou le théorème pressentis satisfont aux conditions de généralité, de simplicité, de symétrie, qui contribuent à la perfection de l’ordre en toutes choses, et qu’une longue pratique des sciences leur a rendues familières.

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Les considérations dans lesquelles nous venons d’entrer trouvaient ici leur place, non-seulement parce que l’idée d’un ordre harmonique dans la nature est essentiellement corrélative à la notion du hasard et de l’indépendance des causes, et par là même se rattache à la théorie de la probabilité philosophique, mais encore parce qu’elle a une influence directe et évidente sur les jugements que nous portons concernant la réalité de nos connaissances et la valeur objective de nos idées en général. N’est-il pas clair en effet que, s’il y a tant d’harmonie dans tous les détails de la création, et notamment dans l’économie des êtres vivants, l’harmonie doit aussi régner entre le système des causes extérieures qui agissent sur nous de manière à nous donner des connaissances et des idées, et le système de connaissances et d’idées qui en résultent ? Ce qu’il y a de particulier, d’accidentel, d’anormal dans les impressions reçues et dans les idées produites, d’un individu à l’autre ou d’une phase à l’autre de l’existence du même individu, ne doit-il pas s’effacer et disparaître, de manière qu’en définitive il y ait accord entre les notions fondamentales, ou les règles de l’intelligence, et les lois fondamentales