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qui en fait par exception un organe de préhension, et les modifications de taille et de forme des autres parties du corps. Il serait ridicule de supposer que le nez de l’éléphant s’est allongé par suite des efforts persévérants que lui et ses ancêtres ont faits pour atteindre avec le nez les objets dont ils faisaient leur nourriture : cela excède la part des réactions mutuelles ; la paléontologie ne témoigne nullement de cet allongement progressif ; la race aurait péri avant que le but ne fût atteint ; et la raison est amenée à reconnaître une harmonie originelle, une cause finale. Mais évidemment aussi, ce n’est point parce que l’animal a été pourvu d’une trompe que la nature l’a créé lourd et massif, et l’a privé des moyens d’atteindre directement avec la bouche les objets dont il se nourrit ; c’est au contraire parce que les conditions générales de structure et de taille étaient données pour ce type, en vertu de lois supérieures qui président aux grandes modifications de l’animalité et à la distribution des espèces en ordres et en genres, que la nature, descendant aux détails, a modifié un organe secondaire de manière à l’approprier à un besoin spécial imposé par les conditions dominantes. Dans l’ordre de la finalité, les conditions générales de structure et de taille sont le terme antécédent ; le développement exceptionnel de l’appareil nasal est le terme conséquent. La raison serait choquée si l’on intervertissait l’ordre des termes, comme elle pourrait l’être si l’on s’obstinait à ne voir dans cette harmonie que le résultat d’une coïncidence fortuite. D’autres fois, les divers termes du rapport harmonique se présentent sur la même ligne, sans qu’il y ait de raison, au moins dans l’état de nos connaissances, pour subordonner l’un à l’autre. Il faut que l’animal carnassier ait assez d’agilité pour atteindre sa proie, assez de force musculaire pour la terrasser, des griffes et des dents puissantes pour la déchirer ; mais nous n’avons pas de raisons décisives pour regarder les caractères qui se tirent de la conformation de l’appareil dentaire comme dominant ceux qui se tirent de la conformation des extrémités des membres, ou réciproquement ; ces caractères nous paraissent être de même ordre, et concourir de la même manière, au même titre, à l’harmonie générale de l’organisme (25).

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Nous aurons lieu de faire des remarques analogues,