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porte dans la spéculation philosophique l’empreinte de ses autres études, le pli d’esprit que lui ont donné d’autres travaux. Le théologien, le légiste, le géomètre, le médecin, le philologue se laissent encore reconnaître à leur manière de draper le manteau du philosophe ; et il serait fâcheux à plus d’un égard que cette variété fît place à une uniformité trop monotone : comme cela ne manquerait pas d’arriver si la philosophie, en voulant se discipliner, s’isolait, se cantonnait, et finissait par ressembler à une profession ou à une carrière.

On ne peut écrire sur des matières philosophiques sans toucher à des questions d’une délicatesse extrême, et sans s’exposer à des contradictions apparentes, ou à des interprétations qui vont bien au delà des pensées de l’auteur. J’ai tâché d’expliquer, mieux qu’on ne l’avait encore fait suivant moi, les raisons spéciales de l’imperfection inévitable de la langue philosophique ; et si j’ai réussi à démontrer au lecteur ce point de théorie, je l’aurai par là même disposé à excuser avec indulgence et à corriger avec bienveillance beaucoup d’inexactitudes de rédaction. Quant à ceux qui seraient animés de sentiments moins charitables, je me contenterai de leur répondre par cette citation de Malebranche (Éclaircissement sur le 3e chap. du livre I de la Recherche de la vérité) : « Il est difficile, et quelquefois ennuyeux et désagréable, de garder dans ses expressions une exactitude trop rigoureuse. Quant un auteur ne se contredit que dans l’esprit de ceux qui le critiquent, et qui souhaitent qu’il se contredise, il ne doit pas s’en mettre fort en peine : et s’il vouloit satisfaire par des explications ennuyeuses à tout ce que la malice ou l’ignorance de quelques personnes pourroit lui opposer, non-seulement il feroit un fort méchant livre, mais encore ceux qui le liroient se trouveroient choqués des réponses qu’il donneroit à des objections imaginaires, ou contraires à une certaine équité dont tout le monde se pique.

Un seul mot pourtant. En parcourant un livre qui a pour but d’expliquer le rôle suprême de la raison dans l’élaboration