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Et leur muse vénale, aux gages des méchans,
De noms déshonorés eût avili ses chants.
Jamais dans les erreurs d’une foule insensée
La fureur des désirs n’entraina leur pensée ;
Disciples d’un instinct par la raison conduit,
Dans les champs de la vie ils ont passé sans bruit.
Une muse rustique, autour de leur image,
Traça d’une main pure, et leur nom et leur âge ;
Et le texte sacré venant la secourir,
Ce Socrate des champs nous apprend à mourir.
Ainsi la piété consacre à leur mémoire
Ce frêle monument qui s’élève sans gloire ;
Interprète muet de leur dernier désir,
Il demande aux passans le tribut d’un soupir.
Eh ! quel cœur approchant du terme de la vie
Ne souffre de l’oubli dont sa perte est suivie !
Quel stoïque mortel, au moment du départ,
Sur ce jour qui le fuit ne prolonge un regard ?
Ses yeux, en se fermant, cherchent une ame tendre,
Qui d’une larme au moins daigne mouiller sa cendre ;
Et du sein de la tombe où l’homme est enfermé,
S’élève encor ce feu dont il fut animé.
Pour moi qui d’une voix de douleur affaiblie,
Ai célébré sans art, ces morts que l’on oublie,
Si jamais un ami s’informait de mes jours,
Quelque homme du hameau lui tiendrait ce discours :
» Souvent nos yeux l’ont vu, dès la première aurore,
» Tandis que la rosée aux champs brillait encore,
» Sur les sommets voisins, chercher, en gravissant,
» Du lever du soleil le spectacle innocent.
» Vers midi, ce ruisseau dont les eaux paresseuses,
» Baignent de ce vieux tronc les racines noueuses,
» Le voyait, languissant, sur sa rive couché,
» Le front pâle, l’œil fixe, à ses flots attaché.
» Tantôt, aux bords d’un bois, de chagrins poursuivie
» Son ame, avec dédain, souriait à la vie.
» L’infortuné pleurait sur les peines du jour,
» Ou sur l’espoir trompé d’un malheureux amour.
» Un matin, retournant aux soins de ma charrue,
» L’arbre ni le ruisseau ne l’offrît à ma vue ;
» Le lendemain, je passe, et mes yeux alarmés
» Le cherchent, mais en vain, aux lieux accoutumés ;