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ANNALES DES SCIENCES POLITIQUES.

ment une politique déterminée du gouvernement, l’État reste sans direction et sans défense ; mais on imagine beaucoup mieux une résistance passive, des attaques, voire des guérillas, rendant pour longtemps impossible l’administration régulière du pays et mettant dans de graves embarras les occupants japonais.

La Chine étant éliminée par sa défaite de 1895 et par son état intérieur[1], il ne reste en présence que les deux voisins, Japon et Russie. Le premier a en Corée une situation économique prééminente, non pas fort grosse actuellement, le montant total du commerce extérieur étant de cent millions de francs environ, mais susceptible d’accroissement par une meilleure exploitation agricole et industrielle. Le gouvernement japonais n’est pas fâché de déverser en Corée le surplus de sa population qui ne s’acclimate ni en Ézo ni en Formose ; il se débarrasse ainsi d’éléments aventureux et dangereux. La situation géographique est telle que la Russie, établie dans la péninsule, serait pour le Japon un objet de souci constant ; il est dur à cet Empire, après avoir vécu isolé, après avoir dominé des voisins plus faibles, de tomber dans la condition des puissances européennes qui ont toujours l’ennemi éventuel à leurs portes. Ce qui agit enfin sur l’imagination populaire, c’est le souvenir des expéditions légendaires et historiques les descendants des Argonautes regardent toujours vers la Colchide.

La Russie n’a ni l’attrait historique ni le besoin de terre d’immigration ; ses intérêts économiques en Corée sont faibles[2] ; maîtresse de Port-Arthur, dominant la Mantchourie, communiquant librement par terre de Port-Arthur et Vladivostok à Irkoutsk et à Moscou, elle peut se passer de la mer du Japon ; elle a donc pu sur le terrain coréen se montrer coulante dans l’occurrence présente. Mais elle a sans doute peu de goût pour la mitoyenneté avec un voisin querelleur ; elle paraît aussi n’avoir pas oublié l’importance prochaine du Pacifique, n’avoir pas voulu que ses communications fussent entravées à tout jamais par d’autres Dardanelles.

En fin de compte, la guerre a éclaté sans déclaration, les Japonais ont occupé la Corée, pays neutre, pays qui a le tort d’avoir depuis trois cent ans désappris à se défendre. C’est le destin de la

  1. Les relations officielles ont été rétablies entre la Chine et la Corée par le traité du 11 septembre 1899. Voir la traduction italienne dans le Bollettino di legislazione e slatistica doganale e commerciale (avril, mai, juin, 1900, p. 564).
  2. Elle a toutefois une mine, les forêts du nord, des droits pour la pêche de la baleine ; la Banque russo-chinoise est représentée. Une école russo-coréenne existe depuis 1896.