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ENSEIGNEMENT COLONIAL ET COURS DE CHINOIS

La France a aujourd’hui en Extrême-Orient une situation unique : protectrice des missions catholiques, représentant de considérables intérêts commerciaux, elle a de plus pour sujets et protégés des millions d’hommes de race jaune, elle est limitrophe du Céleste Empire sur une frontière plus étendue que nulle autre puissance, la Russie exceptée. Elle a immédiatement compris les exigences de cette position privilégiée, et ici encore je trouve au premier rang la ville de Lyon. Avant même que les événements récents que je viens de rappeler, fussent tous accomplis, la Chambre de commerce de Lyon, montrant une fois de plus son esprit d’entreprise, se mit d’accord avec les Chambres de commerce de Bordeaux, Lille, Marseille, Roanne et Roubaix et fit partir une mission dirigée par M. Rocher, consul de France, puis par M. Brenier ; cette délégation était chargée d’étudier les industries, le commerce, la situation économique du Tonkin, du sud de la Chine, de la vallée du Yang-tseu : on sait quelle abondante moisson de documents, d’observations précises a été recueillie par ces missionnaires d’un nouveau genre. Une partie en a été publiée dans un ouvrage qui fait date pour la connaissance pratique de la Chine[1] ; et déjà plusieurs des membres de la mission sont retournés dans les régions qu’ils avaient explorées, et y ont fondé de nouvelles maisons françaises.

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Mais, ainsi qu’on peut le prévoir et qu’on le sait déjà, ainsi que la mission lyonnaise en a fait plus d’une fois la remarque, il ne suffit pas, pour faire des affaires avec les Chinois, de vivre dans leur pays et de se présenter à eux. Les préjugés contre les Européens, contre leurs idées et leurs méthodes, sont tenaces partout en Chine, et surtout dans les régions le plus récemment ouvertes ; si peut-être dans les plus anciens ports les préjugés sont moindres, ils se doublent d’une antipathie profonde, explicable en partie par l’attitude de quelques-uns des étrangers, beaucoup par les excitations des mandarins et des lettrés. Ces sentiments moins hostiles règnent, bien qu’atténués, même dans la classe commerçante, celle dont l’esprit est le moins fermé et qui n’a qu’à gagner à l’ouverture du pays. Le Chinois ressent toujours une pitié méprisante pour celui qui n’a pas le bonheur d’avoir part à sa civilisation : ses institutions familiales, fortes et respectables, ses associations communales et commerciales, les théories de ses anciens sages qui, à ses yeux, ont assez connu la nature humaine pour que leurs œuvres dûment interprétées contiennent la réponse à tous les problèmes qui se sont posés et se poseront à l’humanité, tout cela forme pour lui un corps de dogmes intangibles en dehors desquels il ne conçoit que barbarie. À combattre ses idées, l’étranger risque d’accroître le mépris dont il est l’objet ; à les dédaigner ouvertement, il ne réussira qu’à s’attirer une hostilité plus vive. Quelle que soit la valeur de la civilisation chinoise, il faut, et il faudra longtemps encore, la prendre telle qu’elle est ; si l’on veut faire des transac-

  1. La Mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine, 1895-1897 (1 vol.  gr. in-8 Lyon, 1898).