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EN CHINE

II


Il nous faut maintenant entrer dans ce monde de commis dont nous avons vu en gros l’existence quotidienne. C’est, vers dix ou douze ans qu’un père amène à la boutique un jeune garçon pour en faire un apprenti. À cet âge, l’enfant sait écrire, il connaît la plupart des caractères des Quatre Livres et des petits traités élémentaires, sans guère en savoir le sens ; il sait des phrases apprises par cœur et retenues au hasard, il n’ignore pas pratiquement les principes de morale, respect des supérieurs, observation des rites, qui sont la base de la société chinoise ; mais il n’a aucune notion de religion (cela ne s’enseigne qu’aux bonzes et aux tao-chi), ni de morale théorique ou d’histoire (c’est affaire aux lettrés), ni de droit usuel (cela concerne les clercs des yamens), ni de géographie (personne ne s’en inquiète), ni même de calcul, ce qui est plus étonnant. Il est vrai que le jeune apprenti va s’habituer à manier l’abaque et qu’il le fera avec dextérité. Mais, en somme, c’est une âme neuve, que le milieu seul va former complètement. L’influence de la famille disparaît, en effet, le jour où commence l’apprentissage ; il n’est pas d’usage que le père, s’il est lui-même un marchand, garde son fils dans sa boutique, peut-être par souvenir du précepte classique qui défend au père d’instruire lui-même son fils, plus probablement parce que le fils du patron, trop bien traité, n’apprendrait rien et serait au milieu des autres apprentis, dans une situation à part, blessante pour l’instinct d’égalité si vif chez les Chinois de toute condition : le Chinois sent le besoin d’une supériorité