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en pouvons espérer est qu’on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes, et que nous avons eu une grande puissance sur les paroles, pour les placer si à propos chacune en leur rang, et que nous avons été tous deux bien fous de passer la meilleure partie de notre âge en un exercice si peu utile au public et à nous[1] ». Or, voici ce que disait l’épître à Lucilius, dans la traduction de Malherbe lui-même : « Tout le soin des grammairiens est en l’agencement des paroles. Il s’élargit bien quelquefois jusqu’à l’histoire ; mais quand il va jusques aux vers, c’est le bout de sa carrière : il ne passe jamais plus avant. Je vous laisse à penser en quoi l’assemblement des syllabes, le choix des paroles, la mémoire des fables et la mesure des vers peuvent aider un homme[2] ». Malherbe pensait que cela ne pouvait aider ni un homme ni une nation, et l’on sait comment il rabrouait l’auteur qui se plaignait que l’État ne récompensât pas mieux les poètes. Inconséquent comme Sénèque et comme tous les raisonneurs, il ne laissait pas d’écrire, et de juger les vers des autres avec autant de soin que de sévérité : et dans ses jugements il suit encore la méthode de Sénèque. On pouvait d’ailleurs, sans être béotien, se réclamer, en matière de critique littéraire, du philosophe latin. N’est-ce pas le maître de la critique française au XIXe siècle qui écrivait : « Les plus belles paroles qui aient été prononcées sur la question des anciens et des modernes, c’est peut-être encore ce grand et si ingénieux écrivain Sénèque qui les a dites, et on ne peut rien faire de mieux aujourd’hui que de les répéter…[3] ». Là-dessus Sainte-Beuve

  1. Racan, l. c., p. LXXVI.
  2. Malh., II, 687.
  3. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. 13, p. 138.