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pare longuement la philosophie à la médecine, et Malherbe a traduit bien des passages qui parlaient de l’âme ou de la société comme d’un corps à soigner. Aussi, dans ses vers, et dans ses lettres les plus solennelles, cette image revient-elle sans cesse, soit qu’il parle de la France[1], soit qu’il exprime ses propres « maux », soit aussi que d’après les modes italiennes il fasse parler quelque amant[2].

Il y aurait encore bien des rapprochements à faire entre Sénèque et son traducteur : ainsi la lettre où celui-ci engage Balzac à ne pas ambitionner l’approbation universelle rappelle le ton des Épîtres à Lucilius. Mais s’il est facile de relever une foule d’analogies entre les idées générales du philosophe et celles du poète, il est bien délicat de faire le départ entre ce qui peut relever de l’influence d’un auteur préféré, et les pensées qui naissent de la même façon chez les hommes cultivés de tous les temps et de tous les pays, et auxquelles, selon le mot de Montaigne, le penseur moderne « serait arrivé par sa raison naturelle ». Remarquons que Malherbe, pas plus que Montaigne, ne va jusqu’au bout de la doctrine stoïcienne. Quoiqu’il ait écrit dans sa traduction des Épîtres : « on ne peut dire que ce ne soit le trait d’un galant homme d’avoir fait la résolution de mourir[3] », il exprime dans l’Ode à La Garde l’idée qu’un de ses commentateurs, André Chénier, devait mettre dans la bouche de sa Jeune Captive :

Qu’un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort…

  1. Malh., I, 69, 261, IV, 101-105.
  2. id., I, 2, 23, 100, 163, 179, 183, 302, 303, 392.
  3. Malh., II, 544.