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pression se trouve déjà dans le Traité des Bienfaits et dans les Épîtres. Pensant comme deux autres lecteurs de Sénèque, Montaigne et Rabelais[1] — qui étaient en même temps, il est vrai, des lecteurs de Platon — Malherbe « disoit souvent à Racan que c’étoit folie de se vanter d’une ancienne noblesse, et que plus elle étoit ancienne, plus elle étoit douteuse… que tel qui se pensoit être issu d’un de ces grands héros (saint Louis et Charlemagne) étoit peut-être venu d’un valet de chambre ou d’un violon[2] ». Or, dans l’épître XLIV où il modernisait comme on a vu les noms des classes sociales de Rome, Malherbe avait traduit ceci : « Le plus pauvre a autant de prédécesseurs que le plus riche ; il n’y a homme de qui la première origine ne soit au-delà de toute mémoire. Platon dit qu’il n’y a point de valet qui ne soit de race de rois, ni de roi qui ne soit de race de valets : tout se bigarre de cette façon avec le temps[3] ». Ce n’était pas toujours, comme on sait, l’avis de Malherbe, qui vantait volontiers l’ancienneté de sa race, et s’occupait fort d’en chercher des preuves[4]. Que voulez-vous ? Pour être philosophe, on n’en est pas moins homme, et gentilhomme : et pour traduire Sénèque on ne renonce pas volontiers à descendre des compagnons de Guillaume-le-Conquérant.

Malherbe n’est pas plus indulgent pour les sciences et les arts que pour la vanité humaine. Du traité d’arithmétique de Diophante, dont Mésiriac vient lui offrir une

  1. Rabelais, Gargantua, I, 1. Montaigne, Essais, I, 24, qui traduit un passage du Théétète de Platon. La même idée se retrouve à peu près dans La Bruyère, De quelques usages, 12.
  2. Racan, LXXVI.
  3. Malh., II, 420.
  4. V. Malh., I, 332-334, III, 6, 596-598 ; et Malherbe par le duc de Broglie, pp. 7-11.