Page:Counson - Malherbe et ses sources, 1904.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 75 —

Persas quam in alte cinctos cadit[1]. Malherbe aurait pu dire de sa traduction de Sénèque ce qu’il disait en publiant celle du XXXIIIe livre de Tite-Live : « Je sais bien le goût du collège, mais je m’arrête à celui du Louvre[2] », Il s’y est arrêté en vers comme en prose, et la stance fameuse où il paraphrase Horace sera l’une de ses belles infidélités.

Godeau disait dans son Discours sur Malherbe : « Si Sénèque revenoit au monde, je ne doute point qu’il n’ajoutât au nombre des plus illustres bienfaits dont il parle dans ses livres celui qu’il a reçu de Malherbe en une si excellente et si agréable version[3] ». Il y avait là, en effet, un bienfait illustre, mais c’est Malherbe qui le recevait : il s’assimilait les idées de son auteur — sa façon de traduire montre jusqu’à quel point — et il en tirait sa conception du monde, de la vie et de l’art. Nous avons déjà vu qu’en parlant de Dieu il se souvient du Traité des Bienfaits, même dans ses paraphrases bibliques. Il réfute suivant le même procédé les objections tirées de l’existence du mal contre la providence divine, et il le fait à propos d’une fiction qui sera elle-même un lieu commun de la poésie classique : l’invocation au soleil.

  1. Épître XXXIII, 1.
  2. Malh., I, 465. À cet égard, c’est sa traduction de Sénèque plus que celle de Tite-Live qui fait époque dans l’histoire de la traduction française (v. Egger, L’hellénisme, II, p. 126).
  3. Réimprimé dans le t. I de l’éd. Lalanne. Malh. aurait sans doute appliqué aux idées qu’il empruntait à Sénèque le mot qu’il traduit de l’Épître XII : « Quand les choses sont parfaitement bonnes, tout le monde a droit d’en prendre sa part » (Malh., t. II, p. 305), ou celui-ci : « Envoyez vos yeux où vous voudrez, vous rencontrerez toujours quelque trait qui vous semblera triable ».