Page:Counson - Malherbe et ses sources, 1904.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 62 —

quelles on ne touche guère, et même pour ceux qui n’ont pas encore renié Ronsard, les modèles antiques sont moins Homère et Pindare que Virgile et Horace. Arrive Malherbe. Le secret des grands critiques semble être de formuler franchement, nettement, la pensée et les goûts — et aussi les incompréhensions — de leur époque : Malherbe dit brutalement tout le mal qu’il pensait de ces Grecs qu’on comprenait mal. Nisard, qui avait fait du réformateur le type accompli de toutes les qualités possibles, disait poliment : « il préférait les Latins aux Grecs… s’il n’a pas assez goûté Pindare, c’était en souvenir des excès où l’imitation de ce poète avait fait tomber Ronsard[1] ». Le bonhomme Malherbe n’y mettait pas tant de formes, et, même sans Ronsard, il n’aurait pas ménagé l’« antiquaille » : « Il n’estimoit point du tout les Grecs, dit Racan, et particulièrement s’étoit déclaré ennemi du galimatias de Pindare… Il estimoit fort peu les Italiens, et disoit que tous les sonnets de Pétrarque étoient à la grecque[2]… » À la grecque voulait dire : qui n’a pas de pointe, comme nous l’apprend une anecdote du Menagiana[3], et comme on pourrait le voir dans la traduction de l’auteur à qui Malherbe doit le plus clair de ses idées, Sénèque : « Je ne veux pas nier que Chrysippus ne soit un grand personnage, mais c’est toujours un Grec, de qui les pointes trop déliées se rebouchent le plus souvent, et sont si foibles, que même quand elles semblent faire quelque force, elles ne font autre chose qu’égratigner bien le cuir en sa super-

  1. Nisard, Histoire de la littérature française, I, 404 (dernière éd.).
  2. Vie de Malherbe (Malh., éd. Lalanne, I, p. LXX).
  3. L’anecdote de Mlle de Gournay, et la vogue curieuse qu’eut l’expression à la grecque (Menagiana, 1715, t. 2, p. 344).