Page:Counson - Malherbe et ses sources, 1904.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 39 —

nous dit encore que « Pindare lui est absolument fermé[1] ». Saint-Évremond va même jusqu’à refuser toute qualité à Sophocle, et l’on a remarqué que les sujets grecs avaient toujours mal réussi à Corneille. Sous le ciel riant de l’Hellade, la poésie chantait, enthousiaste et vive, légère et subtile : les muses normandes sont de vieilles filles graves et raisonneuses ; à se mettre à l’école des Grecs elles auraient forcé leur talent. Tout, au contraire, les attirait vers les Romains. Il y avait des affinités électives entre l’esprit normand, pratique, utilitaire, codificateur, et l’esprit législateur, administratif et bourgeois de ces Latins qui aimaient de trouver dans leur plus beau poème un manuel d’agriculture, et qui se plaignaient parfois encore de voir Virgile plus poète qu’agronome[2]. Des deux côtés règne le même goût de l’éloquence raisonneuse, et c’est aux plus raisonneurs et aux plus verbeux qu’iront souvent les sympathies normandes : à Sénèque — nous allons le voir —, à Lucain (Corneille scandalise Boileau en égalant Lucain à Virgile[3]), à des

  1. Flaubert, Corresp., 4e  s., p. 225 (lettre à Georges Sand). Il est assez curieux que Flaubert se soit senti attiré par Carthage, et Louis Bouilhet par la Chine, plutôt que par l’Athènes antique.
  2. Sénèque, Épître LXXXVI, 2 (cf. Malh., II, 671).
  3. Art poétique, IV, éd. Gidel. Voy. surtout la préface de Pompée, où Corneille explique son admiration pour Lucain. Huet, Origine de Caen, 1706, 366, chap. XXIV : « Le grand Corneille n’a avoué, non sans quelque peine et quelque honte, qu’il préféroit Lucain à Virgile ». V. aussi le Huetiana, p. 177. Montausier jugeait comme Corneille : « Montausier traduisit Lucain, qu’il déclarait supérieur à Virgile » (Gérard du Boulan, L’énigme d’Alceste, Paris, Quantin, 1879, p. 9). — Le paraphraste ampoulé de Lucain, Brébeuf, est un Normand. Cf. Bataillard, Lucain, son poème et ses traducteurs (Extrait des Mémoires de la Soc. d’agric., sciences, arts et belles-lettres de Bayeux, 1861), p. 15. — On a souvent remarqué aussi que les Latins que