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nêteté. Qu’on ne parle pas pour lui de mission sociale ou de sacerdoce ; et, pour entendre à merveille l’histoire et la vie, que le poète ne s’imagine pas être le prophète et le mage de son époque. Amuseur patenté, mouleur de vers et de périodes, l’écrivain, pas plus qu’il ne doit étaler sa propre âme au public, ne peut prétendre à le conduire. L’art est son but à lui-même. Malherbe fait de beaux vers pour toutes les causes, comme un bon tapissier fait de beaux décors pour toutes les fêtes ; Corneille dit tout au long que le drame n’a pour but que l’amusement du spectateur, et sa tragédie, on l’a montré[1], n’est que la peinture de la volonté en soi — comme Melaenis ne sera que l’évocation du passé romain, comme Salammbô ne sera que la description de Carthage :

La foule a ses transports, ses amours et ses haines ;
Ne mêlons point notre âme à ce tumulte humain :
Aux convives joyeux le choc des coupes pleines,
À nous la lyre d’or au pilier du festin[2].

Mais, cet art qu’on sépare de la mêlée de la vie comme des passions personnelles, l’écrivain habile peut le polir en bon ouvrier[3] ; les esprits raisonnables peuvent devenir profonds, et s’ils se montrent « faibles d’inventions », comme Régnier le reproche aux ennemis de son oncle, ils ont le sens du vrai, de la clarté, de l’ordre, et de l’art littéraire fait de ces qualités Ils savent l’importance du mot propre, ils ne tolèrent pas l’à peu près ; ils veulent,

  1. M. Brunetière.
  2. Bouilhet, p. 37.
  3. C’est le nom que Vaugelas donne à Malherbe, comme on sait ; et M. Maurice Bouchor dit d’un poète normand plus récent, M. Charles Frémine, qu’il « a su traduire les fraîches impressions de la jeunesse en ouvrier consciencieux et habile ».