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Les poètes écriront donc des morceaux éloquents : en 1624 Puget de la Serre put réunir en un volume « le bouquet des plus belles fleurs d’éloquence, cueilly dans les jardins des sieurs du Perron, Coeffeteau, Du Vair, Bertaut, Malherbe[1]… » ; et s’il y a un orateur dans la poésie française, c’est bien Corneille[2]. Si du reste ni Bossuet ni Mirabeau ni leurs pareils ne sont normands, c’est que le grand orateur proprement dit doit avoir une part de poésie, de lyrisme, d’exaltation qui n’est jamais forte dans les esprits raisonneurs.

Les Normands sont trop pratiques pour ne pas songer au goût du public pour lequel ils écrivent, et pour ne pas tenir compte de l’esprit du temps. Ils le font même avec habileté, et quand ils ne se bornent pas, comme Duperron et Malherbe, à écrire des pièces de circonstance, ils tâchent, comme le grand Corneille, de se faire aux modes du jour : c’est à quoi excelle Thomas Corneille, qui, ayant moins de génie, doit montrer plus de savoir-faire ; c’est ce que fait encore Delavigne, « qui épiait le goût du jour et s’y conformait, conciliant tous les partis et n’en satisfaisant aucun, un Louis-Philippe en littérature[3] » (en des temps plus propices, Malherbe et Corneille avaient été comme un Henri IV et un Richelieu en littérature. Leur œuvre est d’autant plus heureuse que le goût régnant répond mieux au leur, et à leur talent. En effet, malgré toute leur bonne volonté, ils se mettent

  1. Cf. Grente, Jean Bertaut, p. 284, et ibid., le chap. VII : Le poète orateur (p. 171 et sq.).
  2. Casimir Delavigne, dans les Messéniennes de 1827, appelle Corneille :

    Des demi-dieux rocelui dont l’éloquence
    Des demi-dieux romains releva les autels.

  3. Flaubert, Corresp., 2e s., p. 107.