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en éveil, rusé, pratique, et minutieusement exact. Resté proverbial à cet égard, il était déjà bien tel au XVIIe siècle, où tous les grands classiques l’ont remarqué : Racine qui place ses Plaideurs en Basse-Normandie, Boileau[1], La Fontaine dont le renard est plus qu’à demi normand[2], et Molière qui fait de Monsieur Loyal un Normand[3]. En hommes d’affaires, les meilleurs écrivains iront de préférence aux grandes affaires, à celles de l’État, à l’histoire des empires et des conjurations. « Où donc Corneille a-t-il appris l’art de la guerre ? » aurait dit le grand Condé ; les économistes d’aujourd’hui se demandent où Montchrestien, cette « ébauche de Corneille », a appris l’économie politique ; car ce poète normand a écrit un Traité de l’économie politique, et il paraît même que c’est lui qui a répandu cette expression, quelque temps après que du Bellay, le chantre de la « mère des arts, des armes et des lois » et de la douceur angevine, avait employé le mot patrie et que Desportes, l’abbé galant et entremetteur, avait mis en vogue celui de pudeur. Si les poètes normands n’écrivent pas tous des traités comme Montchrestien, ils ont tous le sens de la politique. Malherbe n’est nulle part plus à l’aise que

  1. Boileau, Épître II, Satire XII, fin, et Lutrin, I, 31 et 32.
  2. La Fontaine, Fables, III, 11 et VII, 7 « Répondre en Normand », qu’emploie La Fontaine, était déjà proverbial chez Math. Régnier (Satire III, éd. Courbet, p. 28) et même plus tôt (v. Leroux de Lincy, Livre des proverbes français, I, 241). Voltaire dit encore, à propos de la longévité de Fontenelle, que Fontenelle était Normand et avait trompé la nature. — Cf. aussi Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques, 243 : « Les Normands me font toujours l’effet de ce renard si fort en sorite dans Montaigne… »
  3. Tartufe, V, 4