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Ma raison, il est vrai, dompte mes sentiments[1].

Tous leurs écrivains en sont là : « il y a, dit Flaubert, un mot de La Bruyère auquel je me tiens : Un bon esprit doit écrire raisonnablement[2] » La raison ira avant tout : c’est elle que Corneille « fait voir sur la scène[3] », c’est elle qui parle dans les meilleurs vers de Malherbe, et, plus ou moins gauchement, dans les vers de la plupart des Normands de sa génération. Et que dit-elle ? Quand elle se recueille, elle entreprend

De montrer l’incertain de la grandeur humaine[4].


elle « apprend à mépriser les choses grandes de ce monde, seule et divine grandeur de l’esprit humain[5] » : on sait si Malherbe et Corneille ont prêché cette leçon. Or déjà les chœurs des tragédies de Montchrestien, « développements éloquents de grands lieux communs, ressemblent à s’y méprendre aux strophes de Malherbe[6] ». Mais les Normands ne sont pas toujours si sombres, ils ne lisent pas tout le temps Sénèque ou la Bible ou l’Imitation, et leur philosophie est souvent plus pratique. Le fond de leur tempérament — quand il n’a pas été transformé par une éducation romantique, par le XIXe siècle, par le « gendelettrisme » — c’est un esprit d’observateur prudent et d’homme d’affaires, parfois processif, toujours

  1. Ibid., II, 2. Le mot de raison (comme aussi celui de jugement) revient assez souvent dans les vers de Malherbe (Malh., I, 39, v. 7 ; 276, v. 9 ; 309, v. 10).
  2. Flaubert, Corresp., 2e s., p. 189.
  3. Mot de Racine recevant Thomas Corneille à l’Académie.
  4. Vers écrits par un Normand en tête des Tragédies de Montchrestien (éd. elzév., par Petit de Julleville, notice, p. XIX).
  5. Montchrestien, Épître au prince de Condé (ibid.).
  6. Brunot, La doctrine de Malherbe, p. 49.