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Le tempérament personnel explique moins ici que chez d’autres la matière de l’œuvre : Malherbe, poète fort sec, écrit à force de labeur les plus beaux vers sur les jeunes filles et les roses, le timide bonhomme Pierre Corneille fait des héros à volonté de fer, le désagréable Bernardin de Saint-Pierre fait une idylle charmante. C’est que l’artiste n’a pas à puiser dans son cœur. Il doit regarder froidement l’homme et le monde, voir juste et bien comprendre, et rendre exactement ce qu’il observe ou ce qu’il pense. En observant bien on pourra écrire, selon les temps, la Princesse de Clèves, où Madame de La Fayette se félicite surtout de voir décrite « la manière dont on vit », ou bien Madame Bovary. En s’élevant plus haut, l’homme de génie dégagera les idées générales qui expliquent la conduite humaine, il démêlera dans le fouillis de la vie les sentiments qui sont immuables, et il n’en retiendra que l’élément le plus général, le plus abstrait. Mieux il saura élaguer les détails, les circonstances environnantes dans lesquelles semblent se noyer la volonté et la raison, et plus il sera grand : « ce qui distingue les grands génies, c’est la généralisation[1] ». Si, avec cette méthode, l’écrivain de génie trace des caractères, ses types les mieux réussis seront simples comme des machines faites de peu de pièces, et leur sort sera réglé, leur âme se développera comme un théorème de géométrie. Elle comportera un sentiment ou deux

Et sur les passions la raison souveraine.[2]

Dans la poésie lyrique, ou plus exactement dans ce qu’on appelle alors la poésie héroïque, les poètes normands pourraient avouer avec Pauline :

  1. Flaubert, Corresp., 2e  s., p. 138.
  2. Corneille, Polyeucte, II, 2.