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qu’on s’éloigne du pétrarquisme primitif. Il avait pénétré trop de ce pétrarquisme dans la littérature italienne et dans la française pour que Malherbe pût s’en dégager. Et pourtant le réaliste Normand, « le Père Luxure » de l’hôtel du duc de Bellegarde, si brutal quand il exprime sur l’amour sa propre pensée[1], était bien l’homme le moins fait pour comprendre Pétrarque, et le plus gauche pour l’imiter. Dans une imagination éthérée comme celle de Lamartine, l’amour poétique du Canzoniere trouvait un écho harmonieux et, même en traduisant, le poète français écrivait avec le naturel d’un sentiment personnel. Il voyait les images et les idées du modèle à travers son propre rêve, et les adoucissait : le « fleuve qui s’accroissait des pleurs du poète » devenait les

Ruisseaux dont mes pleurs troublaient l’onde,


« l’air réchauffé et rafraîchi par les soupirs de l’amant » ne gardait plus que le souvenir de l’aimée :

Zéphirs qu’embaumait son haleine[2],


et le pétrarquisme comme l’amour s’idéalisait, s’épurait et s’élevait à une hauteur nouvelle dans la poésie de l’amant d’Elvire. Rien de tel chez Malherbe. Les pleurs, chez lui, on l’a déjà vu, ne sont ni plus ni moins que « la Seine en fureur » et que la mer Egée ; l’ardeur de l’amant est le feu qui brûla Hercule :

Je mourrai dans vos feux, éteignez-les ou non,
Comme le fils d’Alemène en me brûlant moi-même[3].

  1. Voy. entre autres Souriau, o. c., et les Historiettes de Tallemant des Réaux, 3e  éd., I, p. 301.
  2. Cf. Zyromski, Lamartine poète lyrique, qui donne l’adaptation de Lamartine en regard du texte italien (pp. 114 et 115).
  3. Malh., I, 21. Dans l’Olive de du Bellay (sonnet 195), la Loire se grossit aussi des ruisseaux de larmes du poète (cf. Chamard, Joachim du Bellay, p. 187).