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vers pour les savants, mais pour le Louvre. Seulement, pour le Louvre, il aurait pu mettre moins de mythologie ; et ici encore — comme souvent quand il se contredit — il est tiraillé à la fois par sa propre opinion et par les livres qu’il a lus, par les anciens et leurs imitateurs. Il pense et il juge d’une façon, il écrit de l’autre, parce qu’écrire, pour lui, c’est remanier ce qu’ont écrit les poètes latins, italiens et français.

Cette contradiction perpétuelle entre le gentilhomme normand et l’élève des classiques — comparable à la contradiction qu’on trouve chez Flaubert entre le réalisme normand et les souvenirs romantiques — apparaît aussi dans sa façon déjuger la poésie et surtout de parler de ses propres vers. On connaît la première opinion de Malherbe, celle qu’il a prise à Sénèque, et qu’il répète à Racan : la poésie n’est qu’un passe-temps frivole. Il parle bien autrement dans ses vers, et celui qui ne se croyait pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles, devient tout à coup le plus ferme rempart des rois : la louange de Henri IV sera bien plus brillante

Quand elle aura cette gloire
Que Malherbe en soit l’auteur[1].


Le poète confère la gloire et l’immortalité ; il « exempte l’homme de la Parque[2] » : et voilà le bonhomme qui défie « le fameux Amphion[3] » ou Apelle et sa Vénus inachevée[4], il est « plus ardent qu’un athlète à Pise » ; il va couronner Henri IV « d’amarante[5] »; il jure « par

  1. Malh., I, 317.
  2. I, 94.
  3. I, 283.
  4. Cf. Desportes, p. 4.
  5. Cette dernière expression était familière aussi à du Bellay.