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« Le trépas de Rufin vient d’absoudre les dieux »,


comme traduira François de Neufchâteau. Cette idée que le triomphe des méchants est une injure aux dieux, et que leur chute justifie le Ciel, se retrouve dans toute la poésie antique et aussi dans la Bible, et Sénèque a pu très souvent la répéter à Malherbe[1]. Celui-ci se souvenait peut-être même de ceux dont parle Sénèque quand il disait :

Continuez, grands Dieux, et ne faites pas dire
Ou que rien ici-bas ne connoît votre empire,
Où qu’aux occasions les plus dignes de soins
Vous en avez le moins[2].


Cette conception des dieux comme commissaires responsables de nos entreprises est dans toute la philosophie et la poésie antiques, et elle apparaît chez tous les poètes classiques en France, dans l’Hippolyte de Garnier[3], dans le Lutrin[4] de Boileau comme dans l’Andromaque[5] de Racine, et jusque dans La Nature[6] de Lebrun. Elle était déjà chez ceux du XVIe siècle, et Malherbe continue une tradition dont il s’est pénétré en lisant les anciens et

  1. Sén., De Provid., I, Ad Marciam, 12 : deorum crimen erat Sylla tam felix. De même, Lucain, Phasale, VII, 147. Psaumes, LXXII, 11. Cf. de nombreux exemples cités par Martha, Le poème de Lucrèce, chap. IV. On retrouve la même idée jusque dans l’Ode d’André Chénier à Charlotte Corday.
  2. Malh., I, 298 ; cf. trad. de Sén., Malh., II, 248.
  3. Garnier, Hippolyte, IV.
  4. Lutrin, VI :

    Viens aux yeux des mortels justifier les cieux.

  5. Andromaque, III, 1 :

    Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.

  6. La Nature, I.