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« moellon » dans les poèmes de Ronsard, pour les fictions poétiques invraisemblables surtout, dont les poètes d’alors usent encore avec désinvolture. « Il avoit aversion contre les fictions poétiques, et en lisant une épître de Régnier à Henri le Grand où il feint que la France s’enleva en l’air pour parler à Jupiter, il demandoit à Régnier en quel temps cela étoit arrivé, et disoit qu’il avoit toujours demeuré en France depuis cinquante ans et qu’il ne s’étoit point aperçu qu’elle se fût enlevée hors de sa place[1]. » Ce mépris des fictions poétiques, Malherbe l’avait trouvé bien souvent dans Sénèque : l’épître qui rabaissait les « arrangeurs de mots et de syllabes » ne dédaignait pas moins « la mémoire des fables » que la mesure des paroles et des vers, et déjà le Traité des Bienfaits dénigrait ces « niaiseries[2] », ces « baies[3] », « toute cette manière de fables qui est du gibier des poëtes, qui n’ont d’autre but que de dire quelque chose de bonne grâce[4] ». « Je veux bien qu’il y en ait de si passionnés pour le parti des Grecs, que toutes ces imaginations leur semblent nécessaires ; mais je ne pense pas qu’il s’en trouve un qui cherche quelque substance aux noms qu’Hésiode leur a donnés[5]. » Le parti des Grecs on l’a déjà vu, avait un sens aussi précis au début du XVIIe siècle qu’au temps de Sénèque, et c’est contre lui que Malherbe portait ses coups. Quant aux fictions que lui-même employait, il en trouvait encore la théorie dans

  1. Racan, l. c., p. LXXI.
  2. Malh., II, p. 8.
  3. Malh., II, 10 et note (De Benef., I, 4) : baye = tromperie qu’on fait à quelqu’un pour se divertir (Dict. de l’Acad., 1694).
  4. Ibid., p. 10.
  5. Ibid., p. 8.