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Thérèse devint tout à coup songeuse. Elle cloua ses yeux au plafond et demeura là, en extase.

— Quoi, lui demanda son père, vas-tu être aussi rebelle que la dernière fois qu’il en fut question ? Vas-tu refuser à moi, ton père, de vouloir désirer le bonheur pour sa fille et pour lui-même.

Oui, il le désirait le bonheur pour sa fille et c’est avec bonne foi qu’il cherchait à la détourner de cet Allemand. S’il avait eu le moindre doute qu’il était dupé, qu’on se servait de lui pour jouer avec la destinée de Thérèse, il aurait vite fait de les rappeler à l’ordre, car c’était un homme qui aimait la justice et qui aurait préféré se sacrifier mille fois, plutôt que d’en imposer à sa petite fille, sans raison suffisante. Mais il lui était impossible de douter sa femme capable d’un tel méfait. Elle si pleine d’égards et d’empressement pour Thérèse.

— Eh bien ! Papa parlez, je vous écoute.

— Prends connaissance de ceci, après quoi je te dirai pourquoi je m’oppose à cette union.

Thérèse s’empara de la lettre d’une main nerveuse, la lut et relut, une larme vint perler à ses paupières, qu’elle essuya du revers de sa petite main blanche.

— Tu as de la peine, ma chérie, je te comprends. Il a si bien su t’ensorceler, oublie-le et plus tard tu comprendras que je voulais ton bonheur. Moi aussi j’ai beaucoup de peine de voir que tu veux absolument appartenir à un homme qui n’est pas digne de toi. Que ferais-tu si tu l’épousais ? tu t’ennuierais peut-être de te trouver loin des tiens dans un pays éloigné, personne n’aurait le dévouement de ton père, si tu venais dans le besoin, à qui confier ta peine ? Si ton époux n’est pas comme tu l’as rêvé, tu serais obligée de voiler ta peine par un sourire. Vas-tu m’abandonner, moi ton père, qui n’a que toi d’enfant que je puis chérir, toi qui me rappelle ta chère maman que nous avons tant aimée. Non c’est impossible tu ne peux pas faire cela. Dis-moi que c’est un mauvais rêve que j’ai fait, que tout est fini, et que tu n’y penseras plus.

Thérèse releva la tête qu’elle avait tenue penchée pendant tout le temps que parlait son père, et la main sur l’épaule de son père, le regardant, les yeux pleins de larmes elle dit.

— Pour vous, Papa, je vais m’imposer ce grand sacrifice. Mais en retour il faut que vous promettiez d’élever mon enfant, de pourvoir à tous ses besoins, de le considérer comme s’il était votre enfant, ne jamais me pousser au mariage, me laissant libre de pleurer ma peine.

— Je te le promets, pourvu que tu renonces à lui. En plus je vais te donner dix mille dollars dont tu prendras possession cette semaine même : de cette manière tu ne seras pas dans l’inquiétude, et si je venais à manquer bientôt, ce qui peut arriver, car nous ne savons pas quand