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C’est ici le cas. Beaucoup des fautes pour lesquelles la presse contemporaine mérite d’être censurée, sont de simples répercussions dans un milieu spécial de fautes générales où chaque pays, chaque race, chaque catégorie sociale ont leur part de culpabilité. Ces coupables eux-même ont droit à quelque indulgence du fait d’évènements dont ils n’étaient pas les maîtres et dont ils ont subi les conséquences. Le temps en lequel nous vivons a été agité par les applications d’inventions incessantes autant qu’ingénieuses. L’existence matérielle en a été transformée, les appétits surexcités, l’équilibre familial ébranlé. Puis, ce sont de nouvelles formes de groupements qui sont apparues et très vite, ces groupements se sont trouvé investis d’une force redoutable : trusts et cartels économiques ou politiques prompts à soumettre l’individu désarmé à leur tyrannie anonyme.

Tous ces éléments de désordre moral ont insufflé l’habitude de mentir : mensonge obligatoire, dilué, à jet continu… de tous le plus redoutable car il devient bientôt inconscient : « mensonge perlé » pourrait-on dire, qui sévit presque partout. Ayons donc le courage d’en faire l’aveu. Messieurs : jamais on n’a autant menti que dans la société actuelle. Quelques réformes dans les procédés des chancelleries officielles sont pour nous tromper. Il est vrai — ici ou là — les voies gouvernementales sont moins tortueuses qu’aux époques précédentes. Mais qu’est cela si l’humanité en masse se prend à l’engrenage du mensonge au point de s’en faire une seconde nature et de ne plus même s’apercevoir de la sinistre transformation qui s’opère en elle ?

Certes, je le répète, il n’est pas aisé pour l’homme isolé de tracer sa voie au milieu de foules que des espoirs irréfléchis et des déceptions injustifiées aigrissent ou abattent tour à tour. Certes, il ne l’est pas d’échapper à l’emprise des trusts et des syndicats que les passions ou les intérêts font surgir à tous les carrefours de l’existence. Pourtant, cette orientation individuelle, le journaliste peut-il en être dispensé, lui qui est chargé d’orienter les autres ? Tous les efforts ont convergé en vue de s’emparer de lui, car sa profession le désigne. Plus l’organisation de la Presse est puissante, plus on cherche à faire d’elle un instrument d’intimidation, de corruption, de chantage — et plus les redressements de la conscience quotidienne lui sont rendus difficiles. Nous sommes ici dans une oasis heureuse que les miasmes ont à peine contaminée en sorte que la presse de ce pays peut avec un juste orgueil se proposer en exemple pour la droiture de ses intentions et l’honnêteté de ses procédés. Mais hélas ! regardons au delà et dans quelque direction que ce soit, nous constatons les mêmes errements : vérités supprimées ou ma-