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du journal. Mais aujourd’hui, cet esprit a tout envahi : un chroniqueur fut-il chargé de finances ou d’agriculture se laisse influencer par l’appât de paraître informé du roman ou de la pièce auxquels le succès vient de décerner une couronne éphémère. De quoi d’ailleurs la chronique ne se mêle-t-elle pas ? De la forme des chapeaux, des derniers potins, de mille détails dont un journal politique n’a point à s’occuper. On m’objectera que les reproches que je formule là ne s’appliquent guère à la presse allemande ou à la presse anglaise. Celles-là, généralement au service de passions de parti ou de nationalismes aigus, ne tendent pas, je le reconnais, à trop sacrifier à l’esprit littéraire. Quoiqu’il en soit, il faudrait faire attention dans les pays qu’on nomme latins à ne point autant favoriser un mouvement plein d’embûches pour le développement de l’esprit public.

Que serait alors le programme d’enseignement de la faculté universitaire chargée d’entreprendre, peu à peu, le laborieux redressement d’une situation dont je me suis appliqué à vous exposer les tares sans exagérer mais sans rien céder ? Je crois qu’on en trouverait les éléments à cette admirable École libre des Sciences Politiques fondée à Paris il y a environ quarante ans par Émile Boutmy et où enseignèrent Léon Say, Albert Sorel, Vandal et d’autres maîtres de première valeur. Leurs exposés n’étaient pas seulement remarquables par la forme impeccable et l’ampleur des jugements mais par une sorte de philosophie générale, d’esprit mondial qui leur ont survécu. Toutefois il manquait à cet enseignement le cadastre désormais possible à établir et dont il faut munir au plus tôt ceux qui ont charge de guider, de pétrir l’opinion… Messieurs pendant que les hommes se battaient pour satisfaire des impérialismes agressifs ou des ploutocratismes avides, deux grands faits se sont produits auxquels nul n’a pris garde et qui ont pourtant changé la face de la vie humaine. « La boucle a été bouclée » dans l’espace et dans le temps. Notre planète est à nous entièrement ; nous la connaissons tout entière. L’Asie, l’Afrique, les régions polaires sorties des brumes sont éclairées par le soleil levant d’un jour nouveau. L’unité géographique est réalisée. L’unité historique l’est également. Il n’y a plus que des fissures de détail dans les cinquante siècles d’annales enregistrées qui sont derrière nous. La préhistoire malgré bien des découvertes, demeure forcément trouble mais l’histoire nous a révélé la succession de ses têtes de chapitres. Quel événement n’est-ce pas là, Messieurs et de quelles conséquences n’est-il pas porteur ? On en saisira bientôt l’immense portée et c’est à ces conséquences que je pensais tout à l’heure en