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un tel artifice n’est même plus utilisable. Par l’aventure d’un romancier égaré récemment sur ce terrain, il nous a été donné d’apprécier combien de là le risque était grand, d’une chute dans la fantaisie cinématographique. C’est qu’en fait d’histoire universelle les divisions n’ont plus seulement pour but de mieux distinguer au passage les principales péripéties d’une période, de mieux dénombrer les stades de l’évolution d’une collectivité. Il faut, avant que de l’indiquer aux autres, chercher sa propre voie à travers six mille ans découpés en impasses et en carrefours, riches en drames et en anecdotes, baignés de lueurs inégales et de fallacieux clairs-obscurs. Tout est proportion, tout est conscience ! Le moindre grossissement concédé à la connaissance spécialisée, à la passion ethnique, à la forme même de la croyance, provoquera des erreurs de portée considérable. En outre, plus l’étendue à diviser est vaste, plus s’imposent des divisions claires, concises, peu nombreuses, susceptibles d’englober la totalité du sujet sans en être surchargées. On n’évitera pas cependant d’avoir à revenir parfois sur ses pas et à traverser des clairières déjà visitées : cadastrer par siècles ou demi-siècles ne serait qu’un nivellement ; cadastrer par races ou par nations aboutirait à d’interminables répétitions et à un défilé sans couleur ni relief. Telles sont, parmi beaucoup, les principales difficultés à vaincre. Je ne me flatte point d’y avoir réussi. Des adhésions chaleureuses au plan que j’ai suivi m’encouragent néanmoins à espérer qu’un réel progrès se trouve atteint. Ce plan comporte quatre parties entre lesquelles peuvent être distribués de façon discutable, mais justifiable, les soixante siècles dûment enregistrés qui forment notre patrimoine immédiat : les empires d’Asie — le drame méditerranéen — les Celtes, les Germains et les Slaves, la formation et le développement des démocraties modernes.

Seul l’esprit fragmentaire qui domine encore inconsciemment nos mentalités peut expliquer comment l’Asie a été tenue si longtemps en dehors des études historiques habituelles. L’Europe est en train de payer fort cher son indifférence obstinée sur ce point. La postérité s’émerveillera que des règnes comme ceux de Taï-tsong ou d’Akbar le Grand, des faits comme l’odyssée du Bouddhisme, des aventures comme celles de Baber ou de Hideyoshi — et cent faits d’un intérêt captivant et d’une portée profonde — aient été relégués dans une sorte d’annexe obscure et close, alors que la mémoire des écoliers et de leurs maîtres se dépensait à retenir tant de nomenclatures oiseuses et de récits insignifiants. L’histoire d’Asie est débordante de péripéties dont les conséquences pèsent sur nous et dont nous devrons apprendre trop tard à démêler la trame composite.

Il est un autre ensemble au sein duquel la configuration géographique a également dirigé et constamment dominé l’histoire : c’est le monde méditerranéen où tout converge, à la différence de l’asiatique où tout diverge du centre continental vers la périphérie. La Méditerranée, bien entendu, n’est pas négligée par l’enseignement. Il s’en faut pourtant que son autonomie historique soit respectée ainsi qu’il convient. Et le seul fait que les programmes ne savent où faire entrer l’épopée normande souligne la défectuosité des exposés en usage.

Vient ensuite un troisième ensemble remarquable par une caractéristique inverse. Là, si l’on peut ainsi dire, l’absence de géographie a compliqué et retardé la marche de l’humanité. De l’action combinée ou adverse de trois grandes races est enfin sortie l’Europe, jusqu’alors sans contours intérieurs et sans âme définie. Ces aspects généraux sont simples à saisir, mais les réalités qu’ils englobent peuvent être indéfiniment fouillées. Ainsi en est-il d’une œuvre d’art accessible à tous dans sa silhouette, mais dont l’analyse sera poussée par le critique ou l’artiste jusqu’en ses moindres détails.

C’est au début du XVIe siècle, alors que l’imprimerie vient de jeter dans le monde la semence initiale de toute vulgarisation, qu’il convient de chercher l’origine des démocraties

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