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atmosphère — et en nous-mêmes un état d’âme nous rendant capables de saisir ses justes proportions, de nous y plaire et de nous y maintenir. La proportion, l’équilibre, la mesure… besoins primordiaux de notre époque nerveuse, qualités sans équivalents dont nous n’apercevons que la façade tournée du côté de l’art sans nous inquiéter des autres façades qui regardent les horizons sociaux et même économiques et la vie publique aussi bien que la vie familiale : en telle manière que les progrès techniques dont nous sommes fiers risquent de sombrer dans le néant — sinon dans l’enfer — à moins que nous n’arrivions par un vouloir énergique à leur passer ce harnais divin qui fut ici fabriqué jadis : l’eurythmie.

Si, pour ce qui concerne l’utilisation de l’histoire universelle, la volonté de proportion représente un facteur indispensable, cette volonté n’interviendra efficacement qu’aidée parallèlement par des opérations de l’esprit. J’en signalerai deux, dont il me paraît qu’en ce domaine nous devons acquérir l’habitude : d’abord la vue prismatique des hommes et des choses, puis la substitution de la notion de fonction à la notion de cause.

La vérité n’habite pas un puits d’où, selon la fable, il faille la faire sortir. Elle réside au centre d’un prisme. Les hommes se croient fort sages lorsque, traitant les idées et les faits à la manière de surfaces planes, ils en envisagent simplement l’avers et le revers ou, comme ils disent : le pour et le contre. Mais en réalité, la vue qu’il en faut prendre est prismatique. On ne l’obtient qu’en tournant à l’entour de ce dont l’on veut juger et en complétant par un travail de libre réflexion les renseignements insuffisants fournis par la vision.

Lorsque s’affaiblit parmi les hommes l’idée des empires se succédant par décrets spéciaux de la Providence — thèse qui nous a valu l’admirable discours de Bossuet — ce fut la science qui se trouva appelée à administrer un domaine dont l’étendue et les ressources ne lui étaient encore qu’imparfaitement connues. Elle y installa le principe de causalité et en fit son intendant-général. On fut requis de s’adresser à lui en toute circonstance et, effectivement il eut réponse à chaque question au moyen de bordereaux séparés où les faits s’enregistraient selon des règles rigoureuses de comptabilité historique. Cette doctrine implanta du moins l’habitude de l’investigation de détail et du contrôle consciencieux mais, si l’on ose ainsi dire, elle est foncièrement anti-universaliste. Ses qualités la condamnent à servir la myopie et à la développer en la servant. Il en va diversement de l’idée de fonction qui, d’origine mathématique, a en elle assez de puissance pour tout envahir — et tout féconder. Dans l’ordre naturel les phénomènes se révèlent, de plus en plus, fonctions les uns des autres. Il n’est pas surprenant qu’il en soit de même en histoire. À vrai dire, ce qui manque ici, c’est l’avantage de pouvoir utiliser des notations et des graphiques. La fonction en histoire ne se laisse pas suivre à découvert. Elle s’interrompt, se dissimule ; on doit l’exhumer comme s’il s’agissait de quelque recherche archéologique. Elle n’en fournit pas moins des éclaircissements, un contrôle. Par elle, le parallélisme, l’interdépendance des événements s’affirment sans qu’il y ait à distinguer les causes « premières » des causes « secondes » : fixation dont la rigidité et l’absolu ne s’adaptent pas mieux à la vie collective des peuples qu’à l’agitation des océans. Car les actions humaines ne ressemblent-elles pas aux vagues, distinctes et pourtant solidaires, sans commencements ni fins appréciables ?


ii

À travers toute étude historique, les divisions adoptées servent de fil d’Ariane. Il n’est guère possible de s’en passer. Ceux-là mêmes qui, en réaction contre l’abus de la division et de la subdivision poussé parfois jusqu’à la pédanterie, affectent de traiter leur sujet au courant de la pensée, se sont bornés le plus souvent à dissimuler sous un apparent laisser-aller le classement préalable auquel ils avaient eu recours. Dès qu’il s’agit d’histoire universelle,

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