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Monsieur le Président et Messieurs les Membres de l’Académie,

Ce m’est un précieux honneur de prendre la parole dans cette noble enceinte et l’accueil que vous m’y réservez en double pour moi le prix. Au lendemain du jour où Athènes vient, en ma faveur, de faire revivre l’une des formules d’hommage les plus enviées parmi celles dont disposait la cité antique[1], j’aurai eu ainsi cette fortune singulière de pouvoir, comme aux temps olympiques dont j’ai cherché à restituer l’esprit, vous présenter un travail d’ordre purement intellectuel[2], conçu et rédigé au cours des loisirs que me laissait ma charge d’Éphore-général des jeux. Et pour achever d’helléniser autour de moi l’aspect de toutes choses, n’est-il pas indiqué que je tente, en ce moment, de faire moi-même la critique de mon ouvrage, mettant en pratique le précepte fameux de Socrate dont nous disions, ces jours-ci, à l’université, qu’il demeure le fondement de toute philosophie, car il est à la fois le ferment et la sauvegarde de la raison humaine.


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Ce que je me suis proposé tout d’abord, Messieurs, a été de profiter pour écrire une Histoire universelle des premiers moments où semblable besogne s’est trouvée réalisable. Qu’il en fut autrement jusqu’à ces dernières années vous paraîtra peut-être une assertion inexacte. Pourtant, s’il vous plaît d’y prêter attention, l’examen des faits confirmera mon dire. L’étude de l’histoire universelle, pour être fructueuse, suppose la possession — concernant l’espace et le temps — de données précises et complètes auxquelles l’esprit se puisse référer constamment sans effort ni tension. Or, l’heure est à peine écoulée où ces conditions se sont trouvées remplies. Tandis que se préparaient entre les nations des heurts inféconds, un événement s’était produit dont l’ampleur avait passé inaperçue. L’événement le plus gros de conséquences n’est-il pas, bien souvent, le moins remarqué ? Donc, les lacunes qui subsistaient en géographie comme en histoire dans l’enchaînement des connaissances, ces lacunes furent comblées — non point dans le détail où il reste beaucoup à approfondir, mais dans les plans d’ensemble, dans l’échelonnement des horizons désormais rattachés les uns aux autres. Je suppose que la jeune génération a peine à s’en rendre compte ; les hommes de mon âge, eux, ne peuvent oublier en quelle incertitude ils ont grandi concernant les terres polaires, les régions centrales de l’Afrique et de l’Asie, maintes particularités de l’ossature terrestre… et plus encore le passé ethnique et politique de tant de peuples dont ils savaient à peine les noms ou au sujet desquels ils en étaient réduits aux conjectures. La science géographique et la science historique ont maintenant « bouclé la boucle ». L’homme possède les secrets essentiels de sa demeure, architecture et habitat. Grande nouveauté, Messieurs ! Va-t-il en résulter, comme affecte de le redouter un spirituel Parisien, que, la planète ayant perdu son mystère, ses fils perdront aussi l’intérêt d’y vivre et, ne pouvant pousser au delà, se replieront sur eux-mêmes, désenchantés et spleenatiques ? Je pense qu’au contraire l’intérêt de vivre s’en trouvera fortement accru par l’espérance d’établir enfin sur une substruction de solides réalités une organisation humaine moins pittoresque peut-être, mais plus digne et plus stable.

Cependant cela même ne va pas s’accomplir spontanément ; et pour me confiner aux limites du sujet que je traite, il ne s’ensuit pas que l’histoire universelle soit devenue facile à assimiler par le simple fait qu’il est devenu possible de la rédiger. Il faut encore lui créer une

  1. L’attribution au stade d’un siège de marbre gravé au nom du bénéficiaire, usage qui avait été abandonné depuis l’antiquité.
  2. L’Histoire universelle, offerte par l’auteur à l’Académie.
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