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personne sur les chances de succès, d’autant que l’heure est venue où un nouveau malentendu vient accentuer les divergences. L’Europe a eu quarante-deux ans, — depuis le manifeste d’Ostende, — pour préserver l’Espagne du sort qui l’atteint en ce moment, quarante-deux ans pour obtenir d’elle ce qui lui eût conservé Cuba et, aujourd’hui, les chancelleries ne connaissent même pas les termes de la question qui se pose aux États-Unis, de sorte que leur intervention ne peux qu’envenimer la querelle.

Il est né, au delà des mers, un sentiment nettement anti-européen. Ne nous laissons pas tromper par les voyages d’études que l’on fait chez nous, par la façon dont on nous accueille là-bas, par les mille rien qui constituent entre les deux mondes d’aimables, mais puériles politesses. Nous sommes pour l’Américain ce que furent, pour le Romain, la Grèce et l’Égypte : les pays du passé. Nous avons commis cette folie de ne point comprendre que jamais l’argent et les instincts mercantiles n’ont suffi à créer une nation et que, dès qu’un peuple est riche et puissant, si même il n’a pas eu jusque-là de grandes ambitions, ces ambitions lui viennent.

L’histoire des États-Unis nous montre que le peuple américain a l’instinct de la domination et les moyens de l’exercer. De là son importance. Je n’ai pas eu d’autre but, que de vous prouver cette importance. Le temps me manquait pour faire d’avantage et j’estime d’ailleurs que ce préambule auquel les circonstances présentes ajoutent tant de force était nécessaire. Si, comme je le souhaite, cet enseignement reçoit l’année prochaine l’extension qu’il comporte, il faudra, à l’aide d’une méthode scientifique rigoureuse, entrer dans la discussion du détail, au triple point de vue politique, sociologique et économique. Nul ne pourra en tous cas obtenir de ses auditeurs pour cette tâche une attention plus bienveillante ; je vous remercie de me l’avoir témoignée.


Paris, 18 avril 1898.

(Texte publié dans la « Revue Bleue » du 4 Juin 1898)