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geaille. Les convives sont attelés derrière, chacun sur sa luge ; il y en a quatorze ficelées l’une à l’autre et dessinant un long serpent d’articulation rudimentaire que secouent les méandres du chemin. Certes, ce n’est point esthétique, mais il paraît que le fun est excessif.

Voici les petits de l’école qui s’échappent à grands cris. Ils ont aux pieds de vieux patins ébréchés avec lesquels ils glissent, marchent, courent, sautent en une locomotion dont le caractère est indéfinissable mais la rapidité évidente. Et sur le train de bois ramené de la montagne à son chalet, un vieux paysan fait pour la dixième fois le compte de la prospérité que lui valent, cet hiver, ces bêtats d’étrangers pour lesquels il éprouve presque autant de considération que pour l’oie grasse destinée à être plumée par lui demain en vue du repas de Noël.

De quoi on parle ?… C’est bien simple ; d’une seule et unique personne, la Neige. Jamais femme n’a occupé à pareil degré l’esprit des hommes. Il faut vous dire qu’il y en a trente-six, des neiges. Seuls des skieurs pourraient les cataloguer convenablement. Vous autres, gens d’en-bas, vous croyez bonnement que la neige est une espèce de fleur blanche et fondante qui tombe un peu mollement et s’accumule en paquets ouatés sur les gens et les choses. Ce n’est pas cela du tout. Il s’agit d’une personne malicieuse qui complote avec le gel et le soleil une masse de trucs très décevants ; elle se fait tour à tour collante, craquante, poussiéreuse… elle n’est pas la même au pied d’un sapin et au pied d’un pommier, le long d’une haie et au bord d’un ruisseau. S’il a un peu dégelé, l’après-midi, puis regelé très fort la nuit, attendez-vous à de terribles farces. Au beau milieu d’une pente, vous trouverez tout à coup un miroir de glace sur lequel vos skis ne laisseront pas la plus imperceptible trace. Cette neige-là ne veut rien savoir. Insistez ; elle vous enverra en bas en deux temps trois mouvements. On comprend que les faits et gestes d’une pareille personne intéressent et troublent ses amants. Ils s’assemblent donc pour se dire leurs impressions, leurs méfiances et leurs espérances. Ils tapotent le baromètre, consultent le ciel étoilé et recherchent dans leur calendrier l’âge de la lune. Après quoi ils ne sont pas plus