Page:Coubertin Olympie 1929.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
olympie

pris du danger éventuel. Ces cinq notions sont essentielles et fondamentales.

Je ne pense pas que nos grands ancêtres, s’ils se trouvaient ce soir parmi nous, trouveraient à redire à ces définitions. Ils ne modifieraient point dans le fonds, tout en leur donnant sans doute une forme plus hellénique, les phrases que je viens de lire. Mais ils s’étonneraient de n’y pas trouver exprimée ou suggérée l’idée religieuse de purification et de sanctification.

Cette idée, chez eux, s’étendait très loin. Au XIe siècle siècle après J. C., on voyait encore à Olympie, gravé sur un disque, le texte de la convention passée entre Lycurgue et Iphitos, roi d’Élis, pour établir la « trêve sacrée » durant les Jeux. Alors, entre Hellènes, toute querelle armée, tout combat devaient cesser. Le territoire d’Olympie déclaré neutre était inviolable.

Le concurrent aux Jeux devait être de race pure, n’avoir commis ni crime, ni impiété, ni sacrilège. Une fois « accepté » comme candidat, il lui fallait après un entraînement fixé à dix mois faire un stage de trente jours au gymnase d’Élis avant d’être transféré au gymnase d’Olympie ; et toutes ces garanties à la fois ethniques, morales, sociales, techniques, s’entouraient d’un appareil religieux nettement caractérisé.

« Les dieux sont amis des Jeux » a dit Pindare employant ce terme dans son sens le plus athlétique. Tout cela du reste datait de loin car la société décrite dans l’Iliade apparaît déjà fortement sportive et religieusement sportive. Ainsi c’est pour faire honneur aux dieux de leurs corps entraînés et équilibrés que les jeunes Hellènes furent incités des siècles durant à ciseler ces corps par l’exercice musculaire intensif.

Ici, nous touchons au roc profond sur lequel reposait d’aplomb la société hellénique. Permettez-moi de m’en expliquer par cet extrait du Tome ii de mon Histoire Universelle : « L’hellénisme est avant tout, le culte de l’humanité dans sa vie présente et son état d’équilibre. Et qu’on ne s’y trompe point, voilà une grande nouveauté dans la mentalité de tous les peuples et de tous les temps. Partout ailleurs les cultes sont basés sur l’aspiration à une vie meilleure, sur l’idée de la récompense et du bonheur outre-tombe et la crainte de la punition, pour qui a offensé les dieux. Mais ici, c’est l’existence présente qui est le bonheur. Outre-tombe, il n’y a que le regret d’en être privé ; c’est une survivance diminuée. Aussi faut-il une « consolatrice des morts » à ces prisonniers de l’au–delà, à ces « fils de la terre et du ciel étoilé » en exil, loin des fleurs et de la belle lumière. Bien connu est ce vers de Lamartine : « L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux » et Nietzsche, de son côté, parle de « la nature gémissant sur son morcellement en individus ». Voilà deux paroles fort opposées de style et de pensée mais en lesquelles se reflètent les fondements de la plupart des religions individualistes ou panthéistes. Or, elles sont anti-grecques au plus haut degré. Voyez les dieux grecs : des hommes magnifiques, mais des hommes — donc imparfaits ; pour la plupart, des sages ; des gens de raison, d’activité aussi. Ils s’assemblent, ils sont sociables, sportifs, très individuels, peu contemplatifs, encore moins livresques. « Chez l’Égyptien, le Juif, le Perse, le Musulman, écrit Alb. Thibaudet, la vie religieuse consiste à apprendre par cœur de l’écriture, mais la religion grecque est une religion sans livres ».

— Et voilà le paganisme avec sa compagne désirée et fuyante, l’eurythmie. Notre habitude simpliste de cataloguer les choses nous conduit à appeler paganisme l’adoration des idoles ; comme si toute re-