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ces nuages qui, là haut, courent, détachant sur l’azur leurs fantasmagories transparentes. La journée s’avance, l’atmosphère s’alanguit un peu ; on pressent, bien qu’encore éloignée, la fatigue de la nature aux approches du soir. Un moment, celui d’entre nous qui somnolait, cédant à la douce incitation de la terre et du ciel, a cru entendre les cris de joie des éphèbes dans le gymnase et apercevoir un desservant qui montait les degrés du sanctuaire principal pour alimenter d’encens le trépied posé aux pieds de l’image de Jupiter, œuvre de l’immortel Phidias. Ce voyageur là-bas qui prend des notes, serait-ce Pausanias, rédacteur bénévole d’un guide Joanne qui permettra plus tard — bien plus tard — d’identifier et de retrouver l’Hermès de Praxitèle à la place même où sa présence s’y trouvait mentionnée ?…

Laissons ces illusions se dissiper doucement comme les rêves au réveil et rentrons dans la réalité pour regarder naître la troisième Olympie. C’est loin, bien loin de là. Mais combien étrange. Voilà encore la religion qui intervient : une Église — l’Église anglicane cette fois — préside à cette renaissance. Les deux clergymen qui sont en cause, Kingsley et Thomas Arnold, sont des lettrés. Ils n’ignorent rien du passé classique. Pourtant, s’ils le mentionnent, c’est en passant et sans se réclamer de ses expériences. Mais, en quelque façon, ils le dépassent, Arnold fait des muscles les serviteurs plus instruits, plus minutieux, plus constants de la formation du caractère. Il établit — très vite — car sa carrière est brève : quatorze années seulement pour transformer le collège de Rugby qu’il dirige — les règles fondamentales de la pédagogie sportive. De Rugby, par la contagion de l’exemple, il modifie sans paroles retentissantes, ni ingérences indiscrètes, les autres collèges ; et bientôt, la pierre angulaire de l’empire britannique est posée. Ce point de vue, je le sais, n’est pas encore celui des historiens ni des Anglais eux-mêmes, mais je me contente de l′avoir fait approuver par l’un des plus grands parmi les survivants de la période arnoldienne, Gladstone. Lorsque je lui posai la question, inquiet de m’être trompé, il me demanda le temps de la réflexion, et ayant réfléchi, il me dit : c’est exact, les choses se sont ainsi passées.

Quand il s’agit de l’Angleterre aussi, nous raisonnons en simplistes. Cédant à la tendance humaine à toujours considérer comme permanent le spectacle qui nous entoure, qu’il s’agisse du paysage ou des hommes, nous identifions l’Anglais avec le type pondéré, équilibré que nous avons eu sous les yeux depuis le dernier tiers du siècle dernier jusqu’à la guerre. Mais cet équilibre, parfois d’ailleurs plus apparent que réel, a été voulu et appris et c’est la discipline des muscles, phénomène relativement récent, qui l’a engendré.

Il n’y a pas de lien apparent entre l’initiative pédagogique arnoldienne et le rétablissement des Jeux Olympiques ; et puisque ces derniers temps, on a publié les récits les plus fantaisistes concernant les origines de la renaissance sportive en général et du renouveau olympique en particulier, vous trouverez certainement excusable que je saisisse l’occasion de m’en expliquer nettement.

Il est exact qu’un temps, j’ai entrevu de rendre la vie à l’olympisme dans une Olympie restaurée. C’était une impossibilité à tous égards. Et quand, le 16 juin 1894, s’est ouvert, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le Congrès international universitaire et sportif convoqué pour adhérer au projet, ce projet avait déjà, jusque dans ses moindres détails l’aspect que présente aujourd’hui la chose réalisée. Dès l’année précédente du reste, j’en avais saisi