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Trop de stades

« Des stades, on en élève imprudemment de tous côtés. Ceux qui auraient la curiosité de feuilleter les neuf volumes de la Revue olympique durant les années qu’elle fut mensuelle et servit d’organe au Comité international olympique, ceux-là y trouveraient datées d’il y a vingt-deux, vingt, dix-huit ans de constantes mises en garde contre la formule-spectacle et ses conséquences éventuelles. Quand vous aurez établi, disions-nous, des degrés pour quarante mille assistants, vous serez tenus d’en peupler les courbes qui appellent la foule ; et pour l’attirer cette foule il faudra du battage ; et pour légitimer le battage, il faudra se procurer des numéros sensationnels… Oui, nous répétions ces choses mais on ne nous a pas écoutés ; presque tous les stades construits ces derniers temps proviennent d’une incitation locale et trop souvent mercantile, point du tout olympique. Maintenant que s’épanouissent les conséquences prévues d’un tel état de choses, on s’en prend aux athlètes et on leur reproche la corruption qui leur a été inoculée depuis vingt ans de façon incessante… Oui j’admire qu’ils ne soient pas cent fois plus corrompus… Telle est donc à mon sens la cellule corruptrice dont le mal est issu : l’enceinte de spectacle de dimensions exagérées. Supprimez-la et tout le reste s’atténue. Le gate-money redevient normal, les paris se relâchent, la réclame s’affaiblit, les fédérations voient la tentation malsaine et les occasions de mal faire s’éloigner d’elles, leurs pouvoirs et les occasions d’en abuser, diminuer ; l’athlète est protégé contre lui-même sans qu’on ait à réclamer de lui des vertus non surhumaines mais telles que beaucoup de ceux qui s’indignent de ne pas les lui voir pratiquer n’en seraient peut-être pas capables, placés eux-mêmes dans des circonstances analogues. » Mais M. de Coubertin ne voit là qu’une sorte de remède négatif. « On peut, dit-il, aspirer à un résultat positif bien plus important : non seulement on facilite la corruption externe de l’athlète, mais on néglige de susciter en lui la force de résistance, de créer le point d’appui personnel du perfectionnement moral. »

La faute est aux éducateurs

« Si faillite il y a eu — et je viens de dire dans quel sens très restreint j’admets l’emploi de cette expression — ceux qui en sont responsables ce sont les éducateurs ; il y en a de trois sortes : les parents, les maîtres et ceux que la civilisation moderne investit malgré eux d’un rôle délicat, les journalistes. Entre les mains de ceux-là, à des degrés et selon des modes très différents, l’outil pédagogique sportif est un instrument puissant de perfectionnement humain. Or ils n’ont pas su s’en servir. Les plus coupables ce sont les maîtres, car c’était à eux d’agir sur les parents et sur la presse. Ils le firent au début : ils le firent en Angleterre jadis lorsque la doctrine du grand anglais Thomas Arnold les inspirait et les pénétrait. Ils le firent en France voici quarante ans lorsque les lycéens insurgés à ma voix contre une existence morose et déprimante, défoncèrent les portes de leurs geôles pour y faire entrer le plein air (je cite les paroles de l’un d’eux resté typique, Frantz Reichel). Alors une série de proviseurs et de professeurs avisés, un Fringnet, un Morlet, un Adam… conspirèrent avec ce jeune ouragan et, bravement, s’employèrent à en utiliser la force. Mal-