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LES
DIPLOMATES CONTRE LES CONSULS ?




Notre Directeur a reçu hier, la très juste lettre suivante de M. le baron Pierre de Coubertin :

Mon cher Directeur,

Dans un article récent intitulé « Les diplomates contre les consuls », M. Gervais, député, vient de mettre en cause la mémoire de mon beau-père d’une façon très courtoise, très élogieuse même, ce dont je le remercie, — mais un peu erronée aussi, et voilà ce qui légitime mon intervention.

M. Rothan n’appartenait pas à la carrière consulaire ; il était exclusivement diplomate. M. Gervais ne doit pas ignorer, puisqu’il est rapporteur du budget des affaires étrangères, l’équivalence de certains consulats généraux avec les postes diplomatiques. Tel était le cas pour la mission que M. Rothan remplissait auprès des villes hanséatiques et qu’il quitta pour représenter la France à Florence, près le roi Victor-Emmanuel. Ce n’est là qu’un détail et je ne l’aurais pas relevé si je n’avais jugé que, sous la plume de M. Gervais, ce détail sert à étayer une thèse contre laquelle mon beau-père se fût certainement prononcé avec énergie.

Pour bien servir son pays dans les rangs de la diplomatie, il est fort utile sans aucun doute d’avoir « une perspicacité aiguë » et « des caractères prompts et résolus» mais, faute de ce que M. Gervais appelle une « correction inutile », ces qualités-là deviennent chez le diplomate d’exécrables défauts.

Tout Français ayant, comme moi, quelque peu circulé à travers le monde et vécu, depuis vingt ans, dans ses nuances successives la vie extérieure de la France a pu voir à l’œuvre les diplomates improvisés auxquels trop souvent nos ministres des affaires étrangères confièrent le soin de les seconder au dehors. Ils ont admiré l’ingéniosité et la bonne volonté dont ces hommes faisaient preuve dans l’apprentissage de leur métier, mais, en même temps ils ont dû constater combien ce métier était complexe et laborieux à apprendre, au prix de quelles expériences pénibles on y progressait et quel rôle y tenait la tradition. MM. les auteurs dramatiques sont excusables d’exercer leur verve aux dépens de cette vénérable personne ; elle n’en demeure pas moins un élément primordial et indispensable de succès. Ce n’est pas la perspicacité qui a manqué à beaucoup de nos agents, c’est la manière.

Les négociations diplomatiques n’ont nullement changé ; parce que le télégraphe et le téléphone y ont introduit quelques procédés nouveaux, nous nous imaginons que leur caractère s’est modifié essentiellement. Erreur ! Elles sont restées, elles restent et elles resteront longtemps encore un labyrinthe au travers duquel les seuls fils vraiment utilisables sont ceux qu’ont tissés l’éducation et l’accoutumance, avec tout ce qu’elles comportent, en l’espèce, de tenue et de retenue, de discrétion et de formalisme, de prudence et de doigté. On tremble à la pensée des sottises que commettrait la « nouvelle diplomatie » que certains logiciens rêvent d’installer au quai d’Orsay, cette « bastille », pour employer une expression un peu imprévue de la part d’un rapporteur du budget des affaires étrangères.

L’édifice en question est susceptible de nombreuses améliorations, mais du jour où il se trouverait de plain-pied avec les autres édifices constitutionnels la République subirait dans le monde une déchéance certaine. Voilà ce que n’eût pas manqué de dire, avec plus de talent et d’autorité, mon beau-père en réponse à l’article de M. Gervais, et ce que je me permets de dire en son nom.

Agréez, etc.

Pierre de Coubertin.