Page:Coubertin Discours Conference Arts 1906.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
Pierre de Coubertin

Au début, peut-être, la participation à de telles compétitions risque de paraître menue en quantité et même pauvre en qualité. C’est qu’ils ne tenteront d’abord, sans doute, que des artistes et des écrivains personnellement adonnés à la pratique des sports. Même le sculpteur, pour bien interpréter la tempête musculaire que l’effet soulève dans le corps de l’athlète, ne devrait-il pas en avoir ressenti quelque chose dans son propre corps ? Mais quoi ! allons-nous nous laisser arrêter par ce préjugé sans fondement et déjà désuet de l’incompatibilité du sport avec certaines professions ? La puissance et l’universalité acquises en si peu de temps par la renaissance sportive nous protègent contre une pareille crainte. La génération prochaine connaîtra des travailleurs de l’esprit qui seront en même temps des sportifs. N’y en a-t-il pas déjà parmi les escrimeurs ?

En cela le temps agit avec nous et pour nous. Il y aurait imprudence à trop attendre de lui pour ce qui concerne l’alliance à conclure entre athlètes, artistes et spectateurs. Là, tout est à faire ; car on a désappris l’eurythmie. La foule d’aujourd’hui est inapte à associer les jouissances d’art d’ordre différent. Ces jouissances, elle s’est accoutumée à les émietter, à les sérier, à les spécialiser. La laideur et la vulgarité des cadres ne l’offusquent pas. De la belle musique la fait vibrer mais qu’elle résonne au centre d’une noble architecture la laisse indifférente. Et rien ne semble se révolter en elle devant ces décorations misérablement routinières, ces cortèges ridicules, ces cacophonies détestables et tout cet attirail dont se compose ce qu’on nomme de nos jours une fête publique, fête à laquelle un invité manque toujours : le goût.

C’est ici, par excellence, la maison du goût. Elle est reconnue pour telle par le monde entier. La première pierre de l’édifice que nous cherchons à poser ne pouvait être taillée ailleurs avec autant de gages de succès. Au nom du Comité International Olympique, je remercie M. Jules Clarétie, administrateur de la Comédie-Française, ainsi que Mme  Bartet et M. Mounet-Sully, ses illustres doyens, d’avoir bien voulu participer à cette séance et je souhaite en même temps la bienvenue aux éminentes personnalités qui ont répondu à notre appel. On me reprochait tout à l’heure d’en avoir trop restreint la liste. Je crois volontiers à la solidité des entreprises qui débutent discrètement. Soyons de bons guides, sachons poser ici et là des jalons opportuns et l’opinion obéira à l’impulsion que nous aurons donnée.